Déposition avec la Vierge et les saints, Claire, François, Madeleine et Jean – 1585 – Annibal Carrache

 

 

Annibal Carrache – Annibale Carracci (1560-1609)

 

 

Déposition avec la Vierge et les saints Claire, François, Madeleine et Jean

1585
Huile sur toile
Dim 373,8 x 239,7 cm

Conservé à la Galerie nationale de Parme

 

Le peintre

Annibal Carrache appartient à une célèbre famille d’artistes de Bologne. Les détails de sa formation initiale restent flous. On admet qu’il fut influencé par les artistes du nord de l’Italie auprès desquels il s’était déplacé pour prendre des leçons de composition, de couleur, de lumière et d’ombre. À Bologne, il a pu se former dans l’atelier de Bartolomeo Passerotti. Le travail de Baroche à Urbino, orienta Carrache vers celui du peintre maniériste Corrège puis vers l’étude des peintres vénitiens, en particulier Véronèse.
En 1582, avec son frère Agostino et leur cousin Ludovico, Annibal fonda une académie d’art à Bologne.
Il est certain que les trois Carrache connaissaient le cardinal Gabriele Paleotti officiant à Bologne et un des grands instigateurs du Concile de Trente. Si au départ Ludovico fut le plus sensible des trois aux idées du cardinal qui milite pour un art religieux simple et direct, à l’opposé du courant maniériste en vigueur. C’est Annibal qui trouva la solution pour mettre en pratique les dessins de l’art religieux de Paleotti et de la Contre-Réforme en s’appuyant sur les dessins de nus. De vastes archives de dessins nous sont parvenues. Selon le comte Cesare Malvasia, biographe de la famille, les Carrache dessinaient même en mangeant. Jusqu’au départ d’Annibal pour Rome, en 1595, les trois Carrache collaborèrent étroitement. À Rome, exposé à la sculpture antique et à l’art de la Renaissance, en particulier Raphaël, Annibal prit un tournant radical et ouvertement classicisant -sans renoncer au naturalisme ni à la pratique du nu, sa peinture devait atteindre son apogée dans les fresques de la galerie Farnèse.

 

Le tableau

Le tableau illustre un thème religieux. Un thème chrétien.
La Pietà. La Pietà est le nom donné aux représentations de la Vierge au moment où elle pose le corps du Christ sur ses genoux.

Avec la Déposition avec la Vierge et les saints A. Carrache est fidèle aux dictats de la Contre-Réforme.
La Contre-Réforme est la réplique catholique à la remise en question par les protestants de certaines doctrines centrales du christianisme. La peinture constitue un moyen de communication privilégiée pour l’église catholique. Les religieux comme Gabriele Paleotti comprennent l’importance de l’art en tant qu’instrument de persuasion et l’intérêt d’associer l’image à la prière. La Contre-Réforme a suscité une intense créativité et soutenu une vaste production artistique à laquelle prit part Annibal Carrache.

 

Composition

C’est un grand tableau.
Un tableau d’église, un tableau d’autel, son format est vertical avec un sommet cintré.

Cette Pietà s’organise autour d’une composition rigoureuse, qui se développe sur deux registres.

Le registre céleste est situé au 1/3 supérieur de la composition.
Il représente des personnages célestes.

Le registre terrestre occupe les 2/3 inférieurs de la composition.
Dans une ambiance nocturne, il représente une pietà et une mise au tombeau. La Vierge est entourée par les saints : sainte Claire et saint François, sainte Madeleine, saint Jean.

Les nuages du paysage créent la base du registre céleste.

Appuyé sur les genoux de Marie, le Christ est placé au centre géométrique de la composition -vers l’arrière, l’ange au-dessus de lui, est figuré vers l’avant.
La Vierge est entourée par les saints : sainte Claire et saint François, sainte Madeleine, saint Jean.

Les personnages du registre terrestre sont placés à l’intérieur d’une pyramide légèrement décentrée est marquée en son centre par la disposition en quinconce des visages, liés par les regards.

Un mouvement ascendant, par paliers tourne autour du Christ.

Au premier plan, pratiquement vide, la présence d’un crâne situe la scène, la colline du Golgotha.

Il y a une unité de lieu : les personnages sont représentés près des rochers du Golgotha dans la nuit.

L’atmosphère est ténébreuse.
La scène est sombre, elle illustre le soir de la passion.

Le jeu de lumière est très fort : la lumière plongeante du haut gauche du tableau tombe brutalement sur le corps du Christ.
La part des ombres est extrêmement importante dans ce tableau.

La couleur rouge traitée en pleine lumière du drapé de l’ange, est vive, signe de la passion du Christ.
Dans le registre inférieur, le rouge est traité de manière plus profonde.
La cape de saint Jean est d’un rouge vif par rapport aux couleurs du registre terrestre mais sombre par rapport aux couleurs du registre supérieur.
La robe de Madeleine est d’un bleu gris raffiné, sa cape est d’un brun doré.

 

Analyse

Carrache fait entrer le sacré dans le réel.

Le peintre peint une Vierge d’âge mûr, évanouie, livide. Il montre sa résignation et sa douleur. Elle est représentée de façon très naturaliste.

Alors que pour le corps du Christ, il représente un corps beau, bien dessiné, posé en pleine lumière et idéalisé. La mort est rendue par la raideur des membres et le gris de la peau.

Ce tableau exprime fortement l’émotion et le drame.

Il fait réfléchir les fidèles sur la souffrance de Marie.
Carrache réalise une synthèse entre le dessin et la couleur.

On distingue deux périodes dans la carrière d’Annibale Carrache, celle de Bologne jusqu’en 1595 puis, celle de Rome jusqu’à sa mort.

Dans ses premiers tableaux d’autel, comme L’apparition de la Vierge à saint Luc et sainte Catherine -1592 son style est encore franchement baroque. Carrache évolue vers un style plus doux plus équilibré comme en témoigne La Vierge aux cerises –1593

La Déposition avec la Vierge et les saints -1585 est à la croisée des chemins, ses influences sont variées, Corrège, Véronèse, Tintoret et Raphaël. On décèle dans ce tableau les prémices du travail d’A. Carrache vers un style plus « simplifié » qui se concrétisera en 1595 avec son installation à Rome et son adhésion au classicisme des grands maîtres. On pense à Michel-Ange et sa sculpture de la Pietà de 1499.

On retrouve dans La Déposition avec la Vierge et les saints la composition foisonnante et classique et la mise en page équilibrée des tableaux baroques de Tintoret La nativité de saint Jean-Baptiste -1550 et de Véronèse Moise sauvé des eaux – 1570-80.
Du style maniériste on retrouve les jeux d’ombres et de lumières, le lyrisme et la gestuelle des personnages de Le Corrège dans Vénus, Satyre et Cupidon -1524-27 ou Allégorie du Vice et allégorie de la Vertu – 1532-34.
De Raphaël, l’attention de Carrache pour accorder autant d’intérêt au dessin qu’à la couleur et la qualité sculpturale du Christ. On pense à La Madone au baldaquin -tableau inachevé de 1507 et Les trois grâces –1504-1505.

Ce qui appartient à A. Carrache et que le peintre mixe avec bonheur à toutes ses influences est sa touche de naturalisme.

La puissance émotionnelle de ce tableau naît de la palette sombre et des détails naturalistes attachés au personnage de la Vierge, sa douleur est réelle et palpable.

Ce tableau est lisible, facile à comprendre et efficace dans sa manière d’émouvoir le spectateur.

 

Conclusion

En Italie, de nombreux peintres dont Le Dominicain, Guido Reni, Le Guerchin fréquentèrent l’académie des Carrache, s’inspirèrent de leurs œuvres et diffusèrent leur style à travers l’Europe.
En France les peintres ont adopté leur art au point de franciser leur nom.

À ce propos l’historien jacques Thuillier écrit (article de la revue Persée Influence des Carrache en France –colloque de Rome 1986) :

« Sans les Carrache, tout le déroulement de l’art français eût été diffèrent … Les Carrache proposaient un vocabulaire de formes, un idéal de l’artiste, et plus profondément encore, une attitude, qui touchait aux options fondamentales de la peinture… Nul doute qu’un Le Brun, lorsqu’il peint le Salon des Muses à Vaux, ne se souvienne des voûtes du Palais Farnèse peintes par Annibal Carrache…

L’exemple des Carrache conjointement aux textes de Vasari, fixe ainsi le modèle du peintre universel, qui vise d’abord au plus difficile, aux œuvres où peut s’exprimer le plus complètement sa puissance d’invention. Ce modèle, c’est celui que choisirent Vouet, Blanchard ou Bourdon, et qui va dominer toute la création française de Le Brun à Delacroix. Courbet seul parviendra à ruiner l’image exaltante : mais il hantera encore Manet, Gauguin ou Maurice Denis et Picasso lui-même…

C’est dans l’inspiration même qu’il faudrait retrouver tout au long de la tradition, le double refus de la soumission au spectacle comme au phantasme de l’esprit, l’effort pour concilier le plus possible de la réalité et le plus possible de la spiritualité. »

 

Tous les tableaux cités seront en ligne demain dimanche