Cildo Meireles (1948-…)
Insertions en circuits idéologiques : Projet Coca-Cola
1970
Bouteilles en verre et texte sur verre
H : 25 cm
Conservé au centre Pompidou à Paris
L’artiste
« Cildo Meireles est un plasticien et sculpteur brésilien. C’est une figure majeure de l’art conceptuel.
Il est principalement connu pour ses installations dont la plupart expriment une résistance à l’oppression politique brésilienne. Cildo Meireles explore souvent les thèmes de la résistance contre la dictature militaire du Brésil et l’oppression sociopolitique plus large.
Ses œuvres souvent de grandes tailles et denses, encouragent l’interaction du regardeur. »
Ses œuvres interactives font du regardeur, une partie de l’expérience artistique, invoquant souvent une réponse phénoménologique.
« Né à Rio de Janeiro, Meireles a montré très tôt une passion pour le dessin et les relations spatiales. Enfant, son intérêt créatif a été nourri par son père, qui travaillait pour le Service brésilien de protection des Indiens. Ce rôle a conduit la famille à voyager beaucoup dans le Brésil rural, ce qui a profondément influencé la perception de Meireles des cultures indigènes et de leur marginalisation dans la société brésilienne.
Meireles a commencé ses études d’art à la Fondation culturelle du District fédéral de Brasilia en 1963. À la fin des années 1960, il a été initié aux œuvres d’Hélio Oiticica et de Lygia Clark, ce qui l’a conduit au mouvement néo-concret, qui explorait la dissolution des frontières entre l’art et la vie. Son éveil politique s’est produit lors d’une manifestation contre la dictature militaire du Brésil en 1964, qui a ensuite influencé les thèmes politiquement chargés de son art.
D’abord centré sur le dessin, Meireles se tourne vers l’art de l’installation en 1968, créant des environnements interactifs qui explorent des concepts éphémères. Ses premières œuvres, comme Virtual Spaces -1968, s’intéressent à la géométrie spatiale et à la relation entre les objets et leur environnement.
Meireles a été une figure clé dans la fondation de l’Unité expérimentale du Musée d’art moderne de Rio de Janeiro en 1969 et a coédité la revue d’art Malasartes en 1975.
Les bouteilles
L’art conceptuel ne cherche pas à séduire le regard par l’esthétique, mais à stimuler la réflexion.
Après le précédent établi par Marcel Duchamp, les artistes conceptuels ont
« dématérialisé » l’art pour souligner l’importance des idées et des concepts qui les sous-tendent. Ils ne s’intéressent pas aux problèmes de savoir-faire ou de forme liés à un support particulier, mais plutôt à la définition de l’art en tant que tel.
On ne peut sous-estimer l’importance de Duchamp, surtout sur les jeunes artistes américains qui cherchaient une alternative à la domination de l’expressionnisme abstrait à New-York après la Seconde Guerre mondiale.
Les ready-mades de Duchamp -des objets trouvés exposés comme art- défiaient toutes les notions habituelles de l’art : ils n’étaient pas beaux, ils n’exprimaient rien de personnel sur l’artiste, ils n’avaient rien d’originaux ou d’uniques, ils n’étaient pas l’œuvre de l’artiste. Ces objets devenaient de l’art simplement parce que Duchamp avait choisi de les qualifier comme tels, et qu’il pouvait le faire parce que le monde de l’art le considérait comme un artiste.
Pour les artistes conceptuels, Duchamp a prouvé que l’art n’est pas défini par les qualités d’objets précis, mais par le discours autour d’eux en tant qu’œuvres d’art, discours générés par les artistes, les critiques et les historiens d’art, mais aussi par les musées, les galeries et les publications spécialisées.
L’article de LeWitt : Propos sur l’art conceptuel -1967 publié par le magazine Artforum, a permis de confirmer certains des principes communs à nombre d’artistes conceptuels.
Il écrit : « Dans l’art conceptuel, l’idée ou le concept est l’aspect essentiel de l’œuvre…tout est planifié et décidé en amont et l’exécution est anecdotique. »
L’art conceptuel est le reflet d’une nouvelle approche du monde et d’une représentation renouvelée.
L’intention de Cildo Meireles est de représenter le tableau en lui même.
Les bouteilles ne sont plus réalisées pour leurs qualités plastiques, mais pour leur potentialité à évoquer une idée.
Paul Ricœur : « la dure loi de la création est de rendre de la façon la plus parfaite la vision du monde qui anime l’artiste »
L’œuvre est contenue en partie dans l’attitude de Cildo Meireles.
Ces bouteilles sont présentées comme une suggestion, une impulsion, elle sont singulières. Puisque le sens n’émerge pas naturellement de ces bouteilles, elles sont avant tout les traces d’une réflexion, d’une attitude, d’une intention. Les bouteilles sont une forme tangible d’une idée, d’un concept.
Les bouteilles et l’état d’esprit de l’artiste forment un tout, l’œuvre.
Cette œuvre est inséparable du vécu de l’artiste.
Les bouteilles sont moins une finalité qu’un élément accessoire et transitoire par rapport au dispositif d’existence que représente la pratique artistique.
Cette œuvre est de l’art en partie parce qu‘elle est présentée dans un musée.
Avec une combinaison d’anglais et de portugais, Cildo Meireles ajoute son propre texte sur des bouteilles de Coca-Cola – recette de cocktail et slogans politiques critiques comme « Yankees Go Home ! ».
En remettant les bouteilles en circulation, Cildo Meireles a ajouté sa voix aux échanges permanents de biens de consommation, et défié la stricte censure d’état de son Brésil natal.
Ces bouteilles n’ont pas de valeur en elles et demandent à être enrichi du monde propre de son créateur.
La valeur et la durabilité de cette œuvre tient à son impact sur autrui.
Cildo Meireles prend en considération le regardeur au cours de son processus de création et les interprétations multiples qu’il fera de son travail.
Ce choix de bouteilles, une fois exposé dans un musée, cesse d’être une œuvre d’art, car ces bouteilles doivent circuler pour que le message de l’artiste soit vu par le public auquel il s’adresse.
Le regardeur fait face à quelque chose d’inhabituel, de surprenant qui attire son attention.
Entrer en relation avec l’œuvre pour le regardeur a une dimension réflexive.
En regardant cette œuvre le regardeur tente de la rattacher à son histoire personnelle, il tente de lui donner du sens.
Le regardeur se l’approprie à sa façon.
Cildo Meireles bouscule les repères du regardeur.
Quelles ont été ses motivations pour aligner trois bouteilles de Coca-Cola.
Pourquoi a-t-il créer cette œuvre.
Comment est-il impliqué.
Quelle est son interprétation, comment s’est-il engagé dans cette œuvre.
À quoi pensait-il en créant cette œuvre. Quelle est sa relation au monde.
Cildo Meireles montre au regardeur autre chose que trois bouteilles.
L’artiste fait quelque chose à la marge.
Son regard est décalé. Il déplace les frontières de l’art.
L’art permet une ouverture d’esprit et l’artiste apporte une autre vision, une autre approche de sa réalité.
Le regardeur est stimulé par cette idée inconnue, trois bouteilles et des slogans.
Doter ces bouteilles de valeur et de sens suppose de passer par un discours que ces bouteilles contiennent mais ne laissent pas transparaître.
Ce bouteilles ne sont qu’un point de départ vers l’œuvre.
L’œuvre se situe entre les bouteilles et le regardeur, au milieu de leur relation.
L’œuvre rassemble un ensemble d’idées reléguant sa réalisation au second plan.
Cildo Meireles s’inspire de l’agitation socio-politique et des idées contestataires de son pays. Il donne lieu a une installation qui vise à construire des situations et des dynamiques susceptibles d’ouvrir à chaque regardeur la possibilité d’exercer une curiosité critique sur son quotidien et de s’impliquer dans des processus qui le transforment.
Cildo Meireles cherche à émanciper le regardeur de l’ordre établi.
Le sens n’émerge pas naturellement des bouteilles, elles sont avant tout des traces d’une réflexion, l’enregistrement d’une action, d’une attitude, d’une intention.
Les bouteilles et l’état d’esprit de l’artiste forment un tout, l’œuvre.
L’enjeu de l’art serait de créer un autre monde, à voir un monde autrement, celui dans lequel l’artiste agit depuis sa perspective.
Le regardeur réclame d’accéder à son monde propre, lui permettant de créer du sens à sa façon et de faire œuvre des bouteilles exposées.
Les bouteilles ont alors la fonction d’intermédiaires et l’œuvre est en quelque sorte instable, en mouvement permanent.
Le sens n’est pas connu dans les bouteilles mais dans leur relation au regardeur.
De part leur emprise par le musée, des bouteilles qui ne sont initialement pas prévues pour être exposées le deviennent.
Et pour le regardeur, le plaisir de regarder vient d’une émotion, il apprécie l’installation et ne cherche pas à lui trouver un sens. Il pense qu’il aurait pu lui aussi, aligner trois bouteilles. Le regardeur fait face à quelque chose d’inhabituel dans le contexte où il se trouve. Il s’engage dans une action pour comprendre et réduire la tension. Il construit du sens personnel, regarde les bouteilles par rapport à lui, qu’elles lui disent quelque chose.
Les bouteilles opèrent une tension qui demande à être résolue. Ce qui est compris n’est pas forcément ce qui était à comprendre.
L’esprit conceptuel ménage continuellement cette marge d’interprétation entre l’image et le mot, l’esprit et la chose.
Les bouteilles sont un moyen, un lieu de transition, elles n’ont de valeur que dans la relation qu’elles permettent.
Les bouteilles n’ont qu’une valeur relative et c’est la relation du regardeur à l’objet qui fait émerger l’œuvre.
Les bouteilles exposées ne sont pas encore l’œuvre pour le regardeur, l’œuvre se situe dans un « au-delà des bouteilles ».
L’œuvre se situe dans l’échange entre le regardeur et la relation qu’à entretenu l’artiste avec le monde.
L’œuvre est en partage permanent.
Les bouteilles dans l’art conceptuel, n’ont jamais de forme finale, elles s’incarnent différemment selon les territoires par lesquels elles passent.
Cildo Meireles est conscient que cette œuvre n’est pas complète et doit être complétée et achevée dans la situation dans laquelle elle est présentée. Il invite le regardeur à contribuer à la fabrication du sens de l’œuvre pour en achever la signification.
Chaque regardeur a une relation propre avec l’œuvre.
Chaque regardeur voit son œuvre, elle a un nouveau sens pour chacun, l’œuvre est polymorphe.
Le sens n’est pas connu dans les bouteilles, mais dans leur relation au regardeur.
Les bouteilles ont de la valeur dans l’expérience qu’elles procurent.
La couleur est réaliste, c’est la couleur de la boisson Coca-Cola.
L’éclairage frontal des bouteilles est important, il est dynamique, il permet au regardeur de lire les slogans inscrits.
L’éclairage permet de voir les détails de l’œuvre, le regardeur en tire des considérations.
L’ensemble fait travailler l’imaginaire du regardeur.
Cildo Meireles est un artiste conceptuel, il a à cœur de concerner des regardeurs non initiés à l’art. Sa pratique, inspirée de l’agitation socio-politique et des idées contestataires de son époque, donne lieu à des projets qui visent à construire des situations et des dynamiques susceptibles d’ouvrir à chacun la possibilité d’exercer une curiosité critique sur son quotidien et de s’impliquer dans des processus qui le transforment.
« En réponse à la censure du régime militaire brésilien, Meireles a développé les Insertions dans les circuits idéologiques (1970-1976), un projet artistique subversif dans lequel il a imprimé des messages politiques sur des objets du quotidien comme des bouteilles de Coca-Cola et des billets de banque.
Cela lui a permis de critiquer le capitalisme et l’autoritarisme sans confrontation directe. Bien que son travail reste politiquement chargé, il a évolué vers des critiques plus subtiles. »
Avec ces bouteilles de Coca-Cola, Cildo Meireles cherche à provoquer une prise de conscience publique sur le consumérisme et l’oppression politique.
Conclusion
« Cildo Meireles est une figure pionnière de l’art conceptuel, avec ses installations politiquement chargées offrant une critique puissante des problèmes mondiaux et locaux. Sa capacité à associer engagement sensoriel et commentaire sociopolitique profond continue de résonner dans le monde de l’art contemporain, faisant de lui une figure essentielle de l’histoire de l’art latino-américain et mondial.
La première grande exposition de son œuvre au Royaume-Uni a eu lieu à la Tate Modern en octobre 2008, marquant pour a première fois qu’un artiste brésilien était honoré d’une rétrospective complète à la Tate.
Cette exposition a ensuite été transférée au Museum d’Art Contemporain de Barcelone, puis au Museo Universitario Arte Contemporáneo (MUAC) de Mexico, où elle a été présentée jusqu’en janvier 2010.
L’œuvre de Cildo Meireles a été présentée sur la scène internationale, notamment lors de plusieurs éditions de la Biennale de Venise (37e, 50e, 51e et 53e) en Italie, ainsi que de la Biennale de São Paulo (16e, 20e, 24e et 29e). Sa présence s’étend à la Biennale d’Istanbul en Turquie (6e et 8e éditions), au Festival international d’art des Lofoten en Norvège, à la Biennale de Lyon en France (11e et 14e éditions) et aux prestigieuses expositions Documenta en Allemagne (9e et 11e).
En 2023, Meireles a reçu le prix Roswitha Haftmann, la plus prestigieuse distinction européenne, ce qui en fait le premier lauréat latino-américain depuis plus de deux décennies. Tout au long de sa brillante carrière, il a également remporté de nombreuses autres distinctions nationales et internationales, notamment le prix Faz Diferença d’O Globo en 2019, le prix ABCA en 2015, le prix Velazquez des arts visuels de Madrid en 2008, le prix APCA en 2007, un doctorat honorifique en beaux-arts de San Francisco en 2005 et le titre d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres de Paris en 2005, entre autres.
Cildo Meireles est surtout connu pour ses contributions à l’art conceptuel et à l’installation.
Il a été fortement influencé par le mouvement néo-concrétiste brésilien, en particulier par des artistes comme Hélio Oiticica et Lygia Clark, qui se concentraient sur les expériences sensorielles et l’interaction avec le spectateur.
Le travail de Meireles examine souvent les questions de pouvoir, de contrôle et d’idéologie, avec des thèmes récurrents tels que l’oppression, l’histoire coloniale et la marchandisation de la vie quotidienne.
Les œuvres de Meireles sont conservées dans de nombreuses collections publiques de premier plan à travers le monde, notamment au Museum of Modern Art (MoMA) de New York, à la Tate de Londres et au Stedelijk Museum voor Actuele Kunst de Gand, en Belgique. Ses œuvres font également partie des collections de l’Instituto Inhotim de Brumadinho, MG ; du MAC – Niterói ; du 21st Century Museum of Contemporary Art de Kanazawa, au Japon ; de la Fundação Serralves de Porto, au Portugal ; du MACBA de Barcelone, en Espagne ; du Centre Georges Pompidou de Paris, en France ; du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid, en Espagne ; du Museum für Moderne Kunst de Francfort, en Allemagne ; du Los Angeles County Museum of Art (LACMA) aux États-Unis ; de l’Art Institute of Chicago ; du New Museum de New York ; du MASP et du MAM-SP de São Paulo ; du MAM-Rio de Rio de Janeiro ; et de la Pinacoteca de São Paulo. »
Sources :
Thèse de Marine Thebault : Une approche relationnelle de l’exposition muséale : Repenser la conception de l’expérience visitorielle dans les musées d’art à travers l’art conceptuel.
Pour la biographie, article de Selena Mattei – 2024 : Cildo Meireles : Artiste conceptuel brésilien et pionnier de l’installation.