Le pont de Mantes – 1868-70 Jean Baptiste Camille Corot

 

Jean Baptiste Camille Corot (1796-1875)

 

Le pont de Mantes

1868-70

Huile sur toile
Dim 38 x 55 cm
Conservé à Paris, au musée du Louvre

 

Le peintre

Corot est issu d’une famille de commerçants aisés.
En 1822, il finit par convaincre ses parents de l’autoriser à poursuivre une carrière de peintre, en obtenant d’eux une rente annuelle importante.
Cette même année il entre dans l’atelier du peintre Michallon qui lui inculque les principes du néoclassicisme et l’encourage à travailler en plein air.
À la mort de Michallon, Corot poursuit sa formation avec Bertin qui l’incite à peindre en forêt de Fontainebleau.
Dans les années 1830, Barbizon, petit village de la forêt de Fontainebleau, accueillit des peintres qui mirent l’accent sur une nature non contrainte, observée directement et avec exactitude.
Corot sera un des premiers peintres à travailler dans le village de Barbizon.
Depuis le XVIIIe, le voyage en Italie fait partie de la formation des artistes. Ses parents financent son premier voyage entre 1825 et 1828. Il séjourne à Rome, Naples et Venise. Il fera deux autres voyages en 1834 et en 1843.
Il parcourt aussi les provinces françaises à la recherche de paysages, il s’intéresse également aux architectures. Ses toiles sont des études destinées à être réemployées dans des compositions plus ambitieuses.
Corot participe régulièrement au Salon.

Les paysages naturalistes de Camille Corot influencèrent plus tard les impressionnistes.

À partir des années 1850 sa notoriété grandit et le public et les marchands s’intéressent à ses tableaux. Pendant les dernières années de sa vie Corot gagna beaucoup d’argent avec ses toiles. Argent qu’il distribuait très généreusement. Il fit des dons aux pauvres de Paris, acheta une maison à Auvers-sur-Oise qu’il offrit à Daumier devenu aveugle et sans ressources. Il aida la veuve de Millet et ses enfants.

Il meurt d’un cancer à l’estomac.

 

Le tableau

Corot a représenté le pont de Limay qui franchit la seine à Mantes-la-Jolie -dans les Yvelines, à une cinquantaine de kilomètres de Paris.

Ce charmant pont de pierre existe toujours à Mantes-la-Jolie.

La partie du pont qui manque sur la vue d’aujourd’hui a été détruite par les alliés en 1940. On remarque également que les arches sont moins hautes, le niveau de la seine -aménagée depuis, a monté.

Malgré son réalisme le tableau possède une qualité intemporelle.

Dans Le pont de Mantes, un aqueduc antique en pierre se dresse derrière des arbres. La seule touche colorée dans cette scène paisible et argentée est le chapeau rouge du minuscule canotier.

 

Composition

C’est un paysage construit et animé.

En amorce un bout de rive, un triangle de verdure dans l’ombre.

Au premier plan une rangée de troncs d’arbre. Les arbres noueux s’élancent vers le ciel. Au bout des branchages, les feuilles se détachent avec une subtile élégance.

Le pont au second plan avec ses arches élancées, parfaitement symétriques et régulières apporte au tableau une note d’ordre et génère une atmosphère claire et sereine.
C’est un pont de pierre, solide.
Au milieu du pont se dresse un moulin.
À son extrémité, sur la rive opposée, s’élève la maison du passeur.

Le tiers supérieur est rempli par un ciel d’hiver.

Le ciel résonne avec la rivière qui traverse le tableau.
L’eau est animée par les reflets des pierres du pont.

Corot a posé son chevalet en diagonale par rapport au pont. Les lignes fusent et se croisent. La perspective est posée : toutes les lignes qui partent des arbres arrivent au pied de la maison du passeur. Une autre ligne remonte le cours de l’eau, file sous le pont et installe la profondeur du tableau.

Les mouvements libres des arbres s’opposent à l’architecture du pont.
L’eau et le ciel se renvoient des reflets d’argents.
Les arbres et le pont sont l’un contre l’autre, le ciel et l’eau sont l’un avec l’autre.

Une lumière d’hiver d’île de France baigne le paysage.
C’est un voile gris lumineux qui colle aux feuilles des arbres et donne à l’herbe du premier plan une couleur vert métallisé.

Comme une note de musique, une pointe de rouge vibre au premier plan et dans l’axe du tableau. C’est le bonnet du canotier qui accroche notre regard.

Corot précise : « il y a toujours dans un tableau un point lumineux ; mais il doit être unique. Vous pouvez le placer où vous voudrez : dans un nuage, dans la réflexion de l’eau ou dans un bonnet, mais il ne doit y avoir qu’un seul ton de cette valeur. »

La gamme chromatique est raffinée, réceptive aux variations lumineuses.

La touche est vive, spontanée.

 

Analyse

Comment Corot témoigne de sa présence dans ce tableau et implique le spectateur :

En créant une atmosphère, une musique, une lumière.

– Il se dégage de ce tableau, une atmosphère paisible, joyeuse et aimante.
Une douceur, un calme qui font le style de Corot.

Corot a peint les arbres, leurs branchages, les feuilles, les écorces.
L’attraction du tableau, ce sont les arbres.
Représentés dans une lumière de clair-obscur, ils paraissent noirs.

Son imagination charge la nature de son message
Les arbres s’étirent vers le ciel Ils sont alignés comme des notes de musique sur une partition.

Le bonnet rouge donne le la- à lui tout seul il incarne la félicité.

– Une musique cristalline teinte dans ce tableau.
Corot a recouvert sa composition d’un voile d’argent, un filtre qui donne au paysage sa tonalité, son mystère. Le tableau baigne dans une atmosphère éthérée.

Avec ses tons argentés d’une grande sensibilité chromatique Corot peint l’impalpable.

– Sa lumière doit plus au souvenir et à l’impression qu’à l’observation.
Corot peint en atelier.

Corot nous communique son sentiment amoureux de la nature.

Paysage rêvé, paysage réel, Corot joue. Sous couvert de représenter un paysage, Corot nous communique sa joie de venir en ce lieu retrouver son aimée, Madame Osmond.
Corot se rendait souvent à Mantes chez madame Osmond, une veuve et amie intime.

Corot écrit : « je cherche à rendre le frémissement de la nature… je fais des efforts constants pour en saisir toutes les nuances et à donner par cela même l’illusion de la vie. »

Corot nous parle de son contentement d’être là.

Il écrit : « … je ne perds pas un instant l’émotion qui m’a saisie. Le réel est une partie de l’art, le sentiment le complète ».

Aux XVIe et XVIIe, le paysage est un genre accessoire.
Dans les tableaux de Poussin, Vernet ou Hubert Robert, le paysage est un décor.
Le Lorrain défriche le long chemin de la peinture de paysage qui obtiendra ses lettres de noblesse au XIXe avec les peintres anglais et les peintres français de l’école de Barbizon.

Chez Constable trente ans plutôt on est happé par l’atmosphère de ses paysages, on sent l’odeur du blé.

Chez Corot, on glisse sur la surface. C’est la musicalité du paysage qui nous interpelle.

Corot a une relation sentimentale avec son sujet.

Chez l’un comme chez l’autre les personnages sont minuscules.
C’est la nature qui transmet le message, les personnages sont anecdotiques.

Dans ses propres déclarations, Corot reprend à son compte la notion de naïveté appliquée à son art : « Il faut interpréter la nature avec naïveté et selon votre sentiment personnel, en vous détachant complètement de ce que vous connaissez des maitres anciens ou des contemporains. »

 

Conclusion

Baudelaire écrit à Propos de Corot : « Évidemment, cet artiste aime sincèrement la nature et sait la regarder avec autant d’intelligence que d’amour. »

Corot se tient à l’écart des courants de l’art -romantisme et classicisme, seul Courbet trouve grâce à ses yeux. Ce n’est ni un visionnaire, ni un réactionnaire, en cette première moitié du XIXe où la peinture du paysage est en mouvement, Corot est un peintre de son temps, un peintre capital, le plus grand paysagiste.

Monet disait « Corot est le seul maître »

Paul Cosquer précise « …Par son appétit forcené de l’itinérance, de la nature et de la peinture, Corot annonce les fulgurances et les errances de toute une génération d’écrivains américains – Friedman, Kerouac et London.