La femme à la balance – 1663-64 Johannes Vermeer

Johannes Vermeer (1632-1675)

 

La femme à la balance

1663-1664

Huile sur toile

Dim 40,3 x 35,6 cm

Conservé à la National Gallery of Art -Washington DC

 

Le peintre

Marchand d’Art comme son père, Vermeer se considère avant tout comme un peintre.

Vermeer épouse Catharina Bolnes en 1653, après s‘être converti pour cela au catholicisme.
La même année, il devient membre de la guilde de Saint Luc, position idéale pour participer aux innovations artistiques à Delft au cours de la décennie suivante.
Les caravagistes d’Utrecht ont exercé une grande influence sur son travail.
Vermeer peignait deux à trois tableaux par an, sa technique lui prenait beaucoup de temps, raison pour laquelle seulement 37 œuvres de sa main sont connues. La plupart de ses tableaux étaient des commandes.
Doyen de la guilde de Saint Luc dans les années 1660 et 1670, Vermeer était très apprécié à Delft.
Il a travaillé essentiellement pour un couple de riches collectionneurs delftois, Pieter Claesz Van Ruijven et Maria De Knuijt.
En 1672, il est convoqué à la Haye en tant qu’expert de la peinture italienne.
Dans les années 1670, la guerre entre la France et la Hollande met fin à l’âge d’or. Le marché de l’art s’effondre.
Peut-être que le climat d’inquiétude joue un rôle dans la maladie de Vermeer qui se déclare en 1675 et le mène à la mort la même année, à 43 ans.

 

Le tableau

Le premier propriétaire est Pieter Claesz Van Ruijven, avant 1674 ; le tableau reste dans la famille jusqu’à sa vente à Amsterdam en 1696. Il passe dans plusieurs mains à Amsterdam ; Le roi Maximilien-Joseph l’acquiert dans les années 1820 pour le revendre en 1826 au duc de Camaran. Vente à Pris en 1832. Le tableau change plusieurs fois de propriétaires à Paris. La dernière propriétaire est la comtesse de Ségur-Perier 1907-1911.

En 1911 le tableau part à Philadelphie chez Joseph E. Widener qui le lègue en 1942 à National Gallery of Art -Washington DC.

 

 

Composition

La composition est d’une clarté remarquable, empreinte d’intimité et délicatesse.
Vermeer porte une grande attention aux effets de lumière et aux matières.
Il peint dans un environnement fermé.

Dans une pièce assombrie, une jeune femme vêtue d’un luxueux manteau d’intérieur orné de fourrure blanche tient délicatement une balance entre ses doigts en prenant appui à la table de l’autre main.
On note la délicatesse gestuelle de la jeune-femme.
Au mur est accroché une peinture du Jugement dernier.
Sur la table une chaîne en or et des rangs de perles sont éparpillés sur une boîte à bijoux.

Le point de fuite de la composition se situe à gauche de la main soutenant la balance.
La balance a été agrandie.
Le jeu des verticales, des horizontales, des volumes et des vides, de la lumière et de l’ombre, crée une composition rythmée, à l’équilibre subtil.

La lumière est diffusée avec douceur sur le visage de la jeune femme.

Le réalisme des tissus et la maîtrise de la profondeur de champ avec l’étoffe bleue dans le coin gauche de la composition et le sol en damier, donnent de la profondeur à la scène.

Le tissu bleu suggère un sentiment de profondeur et renforce l’impression d’intimité qui imprègne toute la scène.

Vermeer capture la lumière filtrée, le faisceau lumineux entre à gauche par la fenêtre et dispense ses délicats jeux de reflets sur les perles, sur la fourrure de la jeune-femme, sur son visage et sur le tableau au mur. Il en résulte une ambiance délicate.

Vermeer maîtrise les jeux de la lumière et des textures.

La composition est riche en tons jaune et bleu. Vermeer est conscient de l’impact psychologique des couleurs.

Les textures sont rendues avec beaucoup de finesse.
Vermeer passe des empâtements épais au glacis et estompages légers.

Vermeer applique une fine couche de bleu sur une couche de brun-rouge, donnant ainsi à la froideur des tons bleus une chaleur intérieure.

Vermeer utilise les meilleurs pigments, en particulier l’outremer naturel et le jaune de plomb et d’étain qui assurent la luminosité.

 

Analyse

Ses préoccupations sont étroitement liées à celles des peintres de genre contemporains, comme Ter Borch et en particulier Pieter de Hooch, lui aussi spécialisé dans les scènes d’intimité domestique.
Ces deux artistes se sont influencés mutuellement, mais ce sont leurs différences qui rendent Vermeer passionnant.
Comme de Hooch, Vermeer peint surtout des personnages féminins, mais il ne les accompagne jamais d’enfants.

Au lieu d’évoquer la vie quotidienne de la maison, ses figures solitaires ont un caractère méditatif et intériorisé.

L’extraordinaire rendu des détails, l’intensité des rapports colorés et la tactilité des matières scrupuleusement observées ont porté à croire que le peintre employait une chambre noire, hypothèse d’autant plus vraisemblable que les artistes delftois de l’époque se passionnaient pour l’optique et la perspective.
Vermeer connaissait les effets de ces instruments, en particulier les taches lumineuses sur les objets réfléchissants, qu’il reproduisit fidèlement dans ses tableaux.

 I-   Vermeer a beaucoup emprunté à ses contemporains mais, son style et son utilisation de la lumière sont uniques.

Son intérêt pour la lumière reflétée et son sens de la composition s’affirment dans ce tableau.
Vermeer peint un moment tranquille qui souligne le côté méditatif de la vie.
Le jeune-femme est droite dans la lumière.
La lumière crée un ambiance. Elle instaure une atmosphère.

L’étoffe bleue au premier plan sert à tenir le personnage à distance, tandis que les lignes du tableau, de la table et du miroir quadrillent la composition avec une précision mathématique.

Vermeer crée un équilibre chromatique et utilise la technique de la couleur pointillée qui donne de l’importance aux personnage et objets.

Vermeer n’est pas un peintre réaliste.

Dans cette scène il modifie les dimensions du tableau pour des raisons de composition. Le bord inférieur du cadre du Jugement dernier est plus haut devant la femme que derrière elle.

Vermeer pratique souvent de telles adaptations pour renforcer les motifs ou les formes accompagnant ses personnages.
Par exemple, il modifie les dimensions des cartes murales dans La femme en bleu lisant une lettre et La jeune-femme à l’aiguière ; et manipule la lumière en minimisant l’éphémère des ombres dans la leçon de musique et La femme en bleu lisant une lettre, il baigne dans la lumière des murs qui auraient dû se retrouver dans l’ombre.


II-   Cette peinture, parmi les plus séduisantes et les plus sophistiquées de Vermeer, a suscité de multiples lectures, dont la plupart tournent autour de la balance.

Cette scène a été interprétée en tant qu’allégorie.
Vermeer va au-delà du sujet.

Vermeer traite par le biais de sa peinture les vérités morales et spirituelles fondamentales de l’expérience humaine.

D’abord le tableau reflète la prospérité qui prévalait au Pays-Bas.
Vermeer peint le tissu de soie, la fourrure et les perles.

Vermeer cultive l’ambiguïté.

Il insuffle de la psychologie, psychologie du silence.
Il colore moralement son tableau.
Le regardeur est happé vers la balance tenue en équilibre entre le pouce, l’index et le majeur.

La concentration, la position et l’expression de la jeune femme nous invitent à rapprocher les richesse étalées sur la table de l’image pieuse du mur.
Les plateaux de la balance sont vides, les coffrets à bijoux, les rangs de perles et la chaîne en or sur la table appartiennent au monde temporel. Ils représentent la tentation des splendeurs matérielles.

Vermeer fait passer un message religieux.

Le Jugement dernier accroché au mur constitue le contexte théologique de la balance que tient la femme : juger c’est peser.

Le regardeur voit une démonstration d’équilibre entre les vies matérielle et spirituelle, une injonction à rechercher l’équilibre et la modération, ou encore une métaphore du salut.

Vermeer peint une allégorie sur le caractère mortel de l’homme et la vanité des biens matériels, eux aussi éphémères.
Vermeer montre ce que c’est, d’être une femme.

Vermeer appelle à la vigilance face aux diverses sollicitations des sens.

La femme qui se concentre sur la balance qu’elle tient à la main exhale la paix intérieure et la sérénité.

Dans ce tableau Vermeer insiste sur les valeurs et les émotions qui métamorphosent la réalité.
Il  exprime les aspects intemporels de la condition humaine.

La balance est un symbole, riche de connotations allégoriques

Vermeer suggère le besoin de modération et de retenue et la vanité des possessions temporelles.

La tempérance et un jugement équilibré doivent guider la vie.

La balance, emblème de la Justice et, finalement, du jugement dernier, indique que la femme est responsable de ses propres actes et qu’il lui incombe de les peser et de les mettre en équilibre.

Le miroir accroché au mur en face de la femme représente la connaissance de soi.
Dans sa recherche de la connaissance de soi et de l’équilibre de sa vie, la femme semble consciente, mais sans crainte, du Jugement denier qui l’attend.

Ce tableau exprime le calme profond d’un personnage qui comprend les implications du Jugement dernier et qui cherche à vivre dans la modération pour s’assurer du salut.

Vermeer illustre sa scène en ménageant au regardeur une marge d’interprétation personnelle.

Vermeer ne nous indique pas si l’occupation de la femme est utile ou frivole.
La peseuse de Vermeer semble indifférente à ses trésors.
Le peintre l’a saisie à un instant d’intense concentration, au moment où les plateaux s’équilibrent. Ce qui retient l’attention du regardeur.

Tout comme la balance forme le point de départ thématique d’une réflexion philosophique plus vaste, ainsi la lettre de La jeune femme en bleu lisant une lettre, l’aiguière de La jeune femme à l’aiguièreet le collier de perles de La femme au collier de perles ont des fonctions analogues.

Dans chaque œuvre Vermeer introduit une image spécifique de la vie domestique, ayant de vastes implications d’émotions et d’idéaux qui se trouvent au centre des préoccupations existentielles de l’être humain, l’attente de l’amour, l’éclat de la pureté spirituelle et l’importance de la modération.

 

Conclusion

Les tableaux de Vermeer nous permettent de déduire qu’il s’intéressait à la cartographie, à la musique, à la géographie, à l’astronomie et à l’optique, dont l’étude l’a familiarisé avec les concepts néo-platoniciens de mesure et d’harmonie présents dans la pensée philosophique de son époque.

Il débute comme peintre de fresques historiques, puis adapte son changement de genre à un changement de style.
Vermeer est le seul peintre néerlandais capable d’intégrer la gravité morale de la peinture d’histoire dans ses représentations de la vie familiale.

Après sa mort, Johannes Vermeer tombe dans l’oubli.
Ce n’est qu’à la fin du XIXe, après que les impressionnistes ont redécouvert la lumière  que Vermeer est à nouveau sous le feu des projecteurs.

Les œuvres de Vermeer sont toutes des icônes, elles sont conservées au Mauritshuis, au Rijksmuseum, au MET, à la National Gallery et au Louvre.

Innovateur pour son époque, particulièrement attentif et scrupuleux lors de la représentation de ses œuvres. Ses compositions élaborées et d’une grande richesse thématique, expliquent la fascination qu’exerce cette œuvre singulière.

Son tableau le plus célèbre La jeune-fille à la perle est aussi appelé la « Joconde du Nord ».
Renoir se pâme devant la Dentellière, Van Gogh loue « la palette de cet étrange peintre », Proust décrit la Vue de Delft comme « le plus tableau du monde ».

Les tableaux de Vermeer ont une valeur inestimable.

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