La boucherie – 1582-1583 Annibale Carrache

Annibale Carrache (1560-1609)

 

La boucherie

1582-1583

Huile sur toile

Dim 190 x 272 cm

Conservé dans L’église du Christ, qui est l’un des collèges les plus grands et les plus riches de l’université d’Oxford au Royaume-Uni.

 

Le peintre

Annibale Carrache est né dans une famille d’artistes.
Les détails de la formation initiale de Carrache restent flous, mais on admet qu’il fût influencé par certains artistes du nord de l’Italie auprès desquels il s’était déplacé pour prendre des leçons de composition, de couleur, de lumière et d’ombre.
À Bologne, il a pu se former dans l’atelier de Bartolomeo Passerotti dont les portraits et les peintures de genre se caractérisent par une intimité et un réalisme que l’on retrouve dans les premières peintures de genre d’Annibale Carrache comme Le jeune Garçon buvant -1581-84, Le Mangeur de fèves -1580-81 et le tableau étudié : La boucherie -1582-83
Ensuite Annibale s’orienta vers l’étude du peintre maniériste Corrège suivit l’étude des peintres vénitiens en particulier Véronèse.
Annibale est le plus talentueux des peintres de la famille.
En 1582, avec son frère Agostino et son cousin Ludovico, Annibale fonde une académie d’art à Bologne.
La présence à Bologne du cardinal Gabriele Paleotti et l’impact que son traité sur l’art, le Discurso intorno alle imagini sacre et profane -1582, a pu avoir sur l’approche novatrice des Carrache a fait l’objet de nombreux débats. C’est Annibale qui trouva la solution pour mettre en pratique les dessins de Paleotti et de la Contre-Réforme pour l’art religieux, en s’appuyant sur le dessin de nus.
De vastes archives de dessins montrent tout l’éventail de l’activité familiale, allant du dessin de nu aux études d’intérieur, en passant par la caricature, la bande dessinée et les rébus.
Selon le conte Carlo Cesare Malvasia, biographe de la famille, les Carrache dessinaient même en mangeant.
Jusqu’au départ d’Annibale pour Rome, en 1595, les trois Carrache collaborèrent étroitement, ils enseignaient dans leur académie tout en répondant à des commandes pour de grandes fresques à Bologne.
À Rome, exposé à la sculpture antique et à l’art de la Renaissance, en particulier Raphaël, Annibale prit un tournant radical ouvertement classicisant -sans renoncer au naturalisme ni à la pratique du nu, des aspects de son travail qui devaient atteindre leur apogée dans les fresques de la galerie Farnèse.

Le tableau

C’est une peinture de genre.

La boucherie est un ensemble de deux tableaux peints par Annibale Carrache entre 1580 et 1590. Le deuxième tableau est conservé au musée d’art Kimbell (Fort Worth, États-Unis).

Annibale Carrache peint ces tableaux à Bologne.
Bologne est une ville de science et de culture.
Bologne est aussi la ville des bœufs, une ville-marché. L’oncle d’Annibale -le père de Ludovico, était boucher.
En 1564, trois grandes boucheries étaient ouvertes avec obligation, pour les bouchers y travaillant, de conduire les bêtes vivantes à leur étal, de les tuer,  les dépecer, les tailler et les vendre sur place.
À Bologne, les statuts de la corporation des bouchers s’attachent à garantir le bon approvisionnement de la ville en viande, à contrôler la fraicheur, la santé des animaux abattus, l’identité et le sexe des viandes exposées à l’étal, ce qui explique la présence de nombreux bouchers.

 

Composition

Cette toile confronte le regardeur à une composition simple et à un sujet quotidien.

Le tableau décrit un lieu où les bêtes sont abattues et vendues, un étal de boucherie.

La composition est dominée par les nombreux bouchers.

Les gestes de l’acheteur et des bouchers sont précis et les détails sont abondants.

L’acheteur, le hallebardier se contorsionne pour extraire de l’argent de sa poche, attitude qui lui permet de surveiller la pesée du morceau de viande qu’il achète. L’acheteur est suspicieux. Les bouchers jouissent d’une réputation de filous.
Sur le plan pictural et dans l’axe du tableau, un boucher à genoux s’apprête à égorger un bouc, il maintient l’animal de sa main droite, le couteau et le fusil à aiguiser dans sa main gauche.
Annibale représente la feuille de papier en haut à droite où sont inscrits les prix du barème, la balance à la romaine avec ses anneaux et ses crochets, les fusils à aiguiser et couteaux dans leur gaine de cuir.

La composition se lit de la gauche vers la droite, la viande progressivement envahit la toile.
À l’extrême gauche se tient le client hallebardier, dans le fond, la vieille cliente.
Les deux autres tiers du tableau sont occupés par trois autres bouchers et par le bouc au sol, la viande suspendue aux crochets de la balance, celle exposée sur l’étal, celle pendue à la poutre, les deux carcasses et les abats accrochés à l’arrière-plan.

Les verticales sectionnent le tableau en trois parties : la verticale qui passe par la balance délimite le coin de l’acheteur.
Celle qui passe par la viande pendue juste au-dessus du boucher qui s’apprête à égorger le bouc, délimite l’espace de l’étal où a lieu la vente, la verticale qui passe par la carcasse qui est dans le plan pictural à droite délimite l’espace réservé à l’accrochage de la viande.

Le travail au pinceau est rapide.

C’est un tableau en couleurs.
La gamme chromatique distille des touches de jaunes pour mettre en valeur les blancs et les rouges et des bruns pour le sol et la charpente.
Pour rendre l’élément carné, Annibale juxtapose des touches et des pigments qui donnent de l’épaisseur et de la matérialité à sa peinture.

La lumière frontale rebondit sur les rouges (de la viande et des étoffes) et les blancs (des tabliers et des peaux).

 

Analyse

Avec Caravage, Annibale Carrache a réformé la peinture italienne, en renouvelant l’intérêt pour une peinture naturaliste permettant de communiquer plus efficacement que le maniérisme. Là où les maniéristes mettaient l’accent sur la virtuosité, l’élégance, les poses compliquées et les compositions surchargées, le nouveau style vise la lisibilité et la dignité religieuse.

Dans ce tableau Annibale Carrache pousse le réalisme jusqu’à rendre les carcasses vivantes
Annibale peint des corps éventrés qui semblent encore chauds.

Annibale s’intéresse à l’image de la viande et des carcasses d’animaux, c’est le thème du tableau.  Le tableau d’Annibale regroupe les denrées carnées et illustre la surabondance et la matérialité de la chair.

Ce tableau rejette la vulgarité liée au sang.
Dans ce tableau la viande est repoussante mais pas les bouchers.
Ce sont des professionnels, leurs gestes sont techniques et propres.
Leurs mains ne sont pas tachées de sang, leurs tabliers sont d’une blancheur immaculée.

Annibale peint de façon objective et représente directement ce qu’il observe.

Il fait un portrait psychologique du client hallebardier.
Illustrant la réputation d’escroquerie des bouchers.

Il illustre le travail besogneux des bouchers.

Annibale s’expose aux côtés de son frère Agostino et de son cousin Ludovico sous les traits d’un boucher en train de manipuler et transformer de la matière animale comme il le fait de la matière picturale.

La boucherie, lieu d’abattage et de vente est d’abord un lieu de transformation.

Annibale représente la viande dans tous ses états et figure les étapes successives métamorphosant l’animal en viande.
Annibale représente les diverses opérations permettant le passage de l’animal à la viande.
Il attribue une animalité aux carcasses en représentant la peau plissée, les sabots.
Annibale laisse le cuir pour figurer la membrane du corps animal.
Il oppose la peau à la chair, aux viscères et aux os de la bête.
La peau dépouillée révèle la carcasse de l’animal.

Avec cette intérieur de Boucherie Annibale rend la force et la brutalité en peinture.

Annibale accentue la matérialité de la chair, son poids, l’épaisseur du gras et la densité du muscle. Il figure la viande rouge avec nerfs et parties grasses.
Il peint le sang pour figurer la chair animale, pour la rendre vivante et naturelle.

Pour figurer sa boucherie, Annibale peint de la viande équarrie, de la chair picturale.

Annibale rend la vie en peinture.

C’est ce rapprochement entre l’art de la peinture et l’art de la matière qu’Annibale propose dans son académie.

La peinture est un art intellectuel et aussi un art technique exploitant les possibilités qu’offrent la matière.

Ce tableau est un manifeste affirmant une nouvelle approche de l’art et de ses thèmes par rapport à la génération précédente.

Le désir d’Annibale d’enregistrer la réalité du métier l’incitera à consacrer également une série de dessins -puis de gravures, aux commerçants de Bologne.

Ce tableau contraste avec les vues de bouchers au travail de son professeur à Bologne, Bartolomeo Passerotti, qui privilégie le potentiel comique et symbolique du sujet. La boucherie -1580

 

Conclusion

Annibale a réalisé la synthèse de ce qu’il y avait de meilleur chez ses prédécesseurs.
À la limite du classicisme et du baroque, Annibale fait la transition entre deux styles dans une voie opposé au luminisme du Caravage.
Annibale a joué un rôle déterminant dans l’évolution du paysage classique idéal.
Avec l’introduction des peintures de genre, Annibale est considéré comme un pionnier de l’histoire de l’art italienne.

Le mangeur de haricots – 1584-85 conservé au palais Colonna à Rome.

Ses tableaux témoignent d’un réalisme populaire et pittoresque et comme Caravage il s’oppose aux artifices du maniérisme.

On décèle dans ses tableaux une part vénitienne qui doit au Titien et à Véronèse pour le traitement des coloris, du nu féminin et des vues en contre-plongée ; et Raphaël pour la construction des scènes religieuses. Il est également influencé par les lumières douces du Corrège et par Michel-Ange pour les anatomies des satyres et de Bacchus.

S’il est un art dans lequel Annibale excelle, c’est le dessin, à la plume, la sanguine ou la pierre noire.
Les plus belles de ses études sont les préparations pour les fresques du palais Farnèse.
Ces fresques sont sa plus grande réussite, il y consacre dix ans de sa vie.

Annibale décorateur monumental est plus performant sur les plafonds et les murs que sur la toile.

Il est mort dépressif, ayant cessé de peindre, un an avant que disparaisse Caravage dont l’œuvre a supplanté la sienne.

Aujourd’hui ses tableaux sont conservés dans les galeries et les musées de Rome, Florence, Bologne, Paris, Saint-Pétersbourg, Madrid, Dresde et Vienne.