Automate – 1927 Edward Hopper


Edward Hopper (1882-1967)

 

Automate

1927

Huile sur toile

Dim 71,4 x 91,4 cm

Conservé dans la Collection du Centre d’Art Des Moines, dans l’Iowa aux États-Unis

 

Le peintre

Edward Hopper est né à New-York au sein d’une famille baptiste.
1899-1900, Hopper apprend dans une illustre académie de publicité à New-York, la New-York School of Illustrating.
1900 à 1906, il étudie à la New York School of Art, il est l’élève de Robert Henri et de Kenneth Hayes Miller
1906, Hopper voyage en Europe et passe du temps à Paris. À propos de Paris il s’enthousiasme : « je ne pense pas qu’il y ait sur terre une autre ville aussi belle que Paris ni aucun peuple qui apprécie autant la beauté que les français ». Il visite le Louvre où les tableaux de Watteau et de Rembrandt lui laissent une impression durable.
1908, il s’installe définitivement à New-York où il travaille d’abord comme illustrateur et dessinateur publicitaire. Il réalise ses premières expositions à l’Harmonie Club de New-York.
1909-1910, il voyage une seconde fois à Paris.
Il apprécie l’œuvre de Degas et s’intéresse à ses cadrages.
1915 à 1926, il réalise une cinquantaine de gravures à l’eau-forte.
1920 est l’année de sa première exposition particulière au Whitney Studio Club.
1923, il peint à l’aquarelle
1925 il peint La maison près de la voie ferrée. C’est un succès.
Le ton, l’atmosphère de solitude apaisée de ce tableau sont nouveaux, plaisent et deviennent le vrai sujet de sa peinture.
Hopper continuera sur ce modèle toute sa vie d’artiste.
À partir de 1930, il passe ses étés au Cap Cod. Il sillonne l’Amérique en voiture.
1945 il est élu membre du National Institute of Arts and Letters.
Le succès et les honneurs ne modifient pas sa façon de travailler ni son mode de vie. En compagnie de sa femme Joséphine, également peintre, il vit modestement à New-York.
La Lumière est un objet de fascination continu durant les quinze dernières années de sa vie.
1952, Hopper représente l’Amérique à la biennale à Venise.
1953 à 1964 Reconnu par le marché de l’art et les institutions, il cumule les titres et les médailles.
1967 il représente les États-Unis à la biennale de São Paulo.

Cinéphile Hopper s’est nourri des fims de l’âge d’or hollywoodien des années 1930 et 1940.


Le tableau

Hopper représente une femme seule attablée dans une cafétéria américaine.
Peint en 1927, ce tableau appartient au courant du réalisme américain.

La femme de Hopper a servi de modèle pour ce tableau, le peintre a modifié ses traits pour lui donner un aspect plus jeune.


Composition

C’est une image à l’arrêt.

Comme si le peintre avait zoomé sur son personnage.
Il enferme la jeune-femme dans l’image, le cadrage resserré lui coupe les jambes.

Les formes géométriques sont simples. Un jeu de lignes verticales et horizontales place la jeune-femme au centre de la toile.

La jeune femme est dans ses pensées, le regard  rivé sur la tasse de café.
Elle porte un chapeau cloche et un manteau au col et aux poignets en fourrure.
Elle a retiré un seul gant, est-elle pressée, a-t-elle froid, son assiette est vide.
Si elle s’est restaurée, c’est qu’elle est assise depuis un moment.
Elle est assise dans un automate, un restaurant qui délivre automatiquement alimentation et boisson contre de la monnaie dans une machine.
Une chaise vide est placée à sa table, en face d’elle.
La salle est déserte, elle est seule.

La présence du radiateur indique qu’il fait froid.

L’espace est figé face à une nuit invisible, effacée, la vitrine ne reflétant qu’une rangée de néons et ne montrant pas les lumières de la rue.
Les reflets des néons ont un goût de tristesse.

La lumière artificielle, les couleurs froides, intensifient la solitude du lieu et du personnage.

La coupe de fruits rouges dans la vitrine placée pour attirer les clients renforce ce sentiment. C’est la seule note de couleurs vives.

Les couleurs sont appliquées en grands aplats.


Analyse

 I-   Une représentation de la solitude

Une femme est assise, seule, les yeux baissés, son chapeau et son manteau sont comme un rempart.
Son épais manteau, le café chaud dans la tasse, le radiateur près de la porte installent une atmosphère froide.
Le personnage se trouve dans un restaurant automatique, où les interactions humaines sont éliminées et où il est possible de boire un café à toute heure sans parler à quiconque.
Les chaises vides qui l’entourent soulignent son isolement, et le reflet des longues rangées de néons dans la grande baie vitrée derrière elle renforcent l’idée d’un lieu vaste et désert.

L’absence de toute autre présence humaine dans le reflet, conjuguée au langage corporel introverti de la femme, suggère que le point de vue du regardeur se trouve hors de la composition.
Une distance de sécurité le sépare et les chances d’interaction sont totalement nulles.

L’apparence élégante mais isolée suggère un délaissement ou un chagrin personnel qu’elle ne veut partager.
La jeune-femme est pensive, absorbée dans une mélancolie sans fond.

La lumière artificielle de la nuit d’Hopper révèle et examine, laissant le personnage à nu et le rendant vulnérable.

 La scène est réduite à ses composantes essentielles, sans motif ni détails accessoires.

La construction rigoureuse, la suppression des détails, l’impact de la lumière, confinent à l’abstraction. Tout paraît contrôlé et mis en scène, ce qui donne un aspect étrange et irréel à cette scène pourtant réaliste.

II –   Hopper s’implique

Hopper efface de sa composition tout point de vue hormis le sien. En cela, il se distingue de ses contemporains.

Si le tableau de Hopper offre une vue de la vie réelle, il n’est pas complètement documentaire, ni entièrement naturaliste.

Les surfaces sont planes, les coups de pinceau aussi discrets que possible.
On pense aux tableaux de Magritte.

Hopper a un style résolument figuratif.

Il peint des « types » génériques de New York ou de Cape Cod. Il associe facture lisse et formes simplifiées pour dépeindre les spécificités des personnages ou des bâtiments, recourant même à un unique modèle, sa femme Joséphine, pour représenter des femmes de différents âges, tempéraments et postures.

Automate recèle bien plus qu’un commentaire sur l’expérience aliénante de la vie citadine.

Le peintre projette une histoire complexe et ambigüe sur son personnage tout en jouant avec les effets de la lumière artificielle sur la salle et la jeune-femme.

Les reflets des néons dans la vitrine renforcent le côté fantomatique de la scène.

La vitrine ne renvoie pas le reflet de la jeune femme, ni ceux du mobilier.
Le regardeur ne voit pas les lumières de la ville, Hopper les a volontairement oubliées. Rien ne doit distraire le regardant de la vision de la jeune femme.

Le froid qui se dégage de la toile rend la jeune femme très  vulnérable.

Hopper exprime ainsi la solitude des grandes villes dans les années 1920.
Le peintre renforce l’idée d’aliénation urbaine des métropoles américaines.

C’est un thème qui lui tient à cœur, il le représente plusieurs fois, le tableau le plus connu étant Nighthawks conservé à l’Institut d’Art de Chicago.

Hopper nous donne à regarder un réalisme mélancolique et silencieux.
Son dessin est de provoquer la compassion du regardeur et de l’amener à réfléchir à la solitude de la jeune femme.

Ce tableau a une dimension abstraite et symbolique.
Hopper gomme l’extérieur pour concentrer notre regard sur l’intérieur, sur la jeune femme isolée dans une salle close.
Il sollicite notre imaginaire, nous invite à inventer une narration.
On pense à la tension immobile des fims de David Lynch.
Lynch comme Hopper interprètent l’ordinaire, le théâtralise.

La maison près de la voie ferrée –1925 est une version diurne du dialogue entre l’intérieur et l’extérieur, Fenêtres, la nuit –1928 et Un bureau, la nuit -1940 sont des versions nocturnes.

Dans un tableau peint trente ans plus tard Sunlight in Cafeteria -1958,  la lumière transperce la vitrine, la femme est représentée tenant une tasse de café. Elle porte des vêtements d’été et elle n’est plus seule dans la salle.
D’autre part le regardeur voit la rue.
Ce tableau est le pendant, le contraire d’Automate.
Ce tableau est clair et vivant.

Les peintres français avaient choisi l’alcool pour exprimer la solitude.
Pour Manet, La prune –1877 National Gallery of Art, Washington ou pour Degas,L’absinthe -1875-76 musée d’Orsay.
En France au XIXe c’est l’alcool le fléau, le responsable de la solitude bien avant les distributeurs automatiques.

 

Conclusion

J’aime beaucoup ce peintre. Hopper fait parler la lumière.

Hopper propose une réalité interprétée, à nous d’imaginer. Le regardeur  met sa petite musique. Chacun regarde un tableau différent.

C’est aussi la façon de Hopper d’exprimer et de dénoncer ce qu’il a dire.

L’atmosphère apaisée, l’implication de la lumière sont les caractéristiques dominantes de ces tableaux.

Il écrit : « La peinture qui ne s’occupe que d’accords chromatiques, d’équilibres graphiques, m’est totalement étrangère ».

Hopper est fasciné par les longues ombres des premières et dernières heures de la journée. Hopper affirmait « …Ce que j’ai vraiment cherché à peindre, c’est la lumière du soleil sur la façade d’une maison ».
Parvenir à saisir la lumière et son ombre.
Capturer les nuances de la lumière est l’obsession de sa vie d’artiste.

Hopper s’inscrit dans l’histoire de la peinture américaine, son exigence et sa méthode le tiennent à distance des mouvements de l’avant-garde américaine, de l’Expressionisme abstrait de Pollock ou Rothko. Ce qui ne l’empêche pas de représenter une certaine idée de la modernité.
Hopper peint le présent au présent.

Sa vie artistique s’est partagée entre la métropole newyorkaise avec ses scènes de la vie urbaine et la région de Cape Cod avec sa lumière solaire.

Certains tableaux de Hopper, cités dans le commentaire ont été postés antérieurement, vous les retrouverez en allant à Hopper dans l’index des artistes.