Paysage américain – 1930 Charles Sheeler


Charles Sheeler (1883-1965)


Paysage américain

1930

Huile sur toile

Dim 61 x 78,8 cm

Conservé au MoMA à New-York

 

 Le peintre

Charles Sheeler est né en Pennsylvanie dans la ville de Philadelphie.
De 1900 à 1903, il étudie le dessin industriel à la Pennsylvania Museum School of Industrial Art.
De 1903 à 1906, il étudie le dessin et la peinture avec l’impressionniste William Merritt Chase, à la Pennsylvania Academy of Fine Arts.
De 1904 à 1909, il complète ses études par plusieurs voyages en Europe
En 1909, à son retour de France à Philadelphie, Sheeler abandonne le style académique et commence à peindre en s’inspirant de Giotto, de Piero della Francesca et des artistes modernes comme Cezanne, Braque et Picasso.
Au début des années 1910, tout en apprenant la photographie et en réalisant des commandes de photographes pour les architectes locaux, il montre ses peintures lors de grandes expositions collectives, dont l’exposition internationale d’art moderne 1913, l’exposition Forum 1916 et l’exposition de la Société des artistes indépendants 1917.
À travers ces événements Sheeler rencontre des innovateurs tels que Marcel Duchamp qui exerce une influence importante sur sa compréhension de la structure de base des formes. Il a également noué d’importantes relations professionnelles avec plusieurs personnalités influentes du monde de l’art à New-York, dont le photographe et marchand d’art Alfred Stieglitz.

 

 Le tableau

 C’est l’œuvre la plus célèbre de Charles Sheeler.

Ce tableau a été peint d’après une des photographies que Sheeler prit de l’usine Ford Motor Compagny à River Rouge.

 Ce tableau est un classique.
Sheeler dépeint une zone de transport de l’usine Ford, soulignant son efficacité et son autonomie.

Cette toile a été donnée par Abby Aldrich Rockefeller au Musée d’Art Moderne de New-York (MoMA).

 

Composition

Un paysage urbain, réaliste, essentiellement géométrique.

Un paysage où les formes sont réduites à des structures aux lignes dépouillées, artificielles, des surfaces nettes, situées dans une nature irrévocablement transformée par les progrès de l’industrie.

C’est une scène imposante.
Au premier plan, le canal induit une grande diagonale qui  reflète partiellement la rive et entraîne toute la composition.
Les plans se juxtaposent en suivant son tracé.
D’abord la diagonale du train, puis une diagonale de tas de sable et de terre, puis des hangars, des bâtiments industriels et, au centre un bâtiment blanc avec des fenêtres est le seul indice de la présence humaine.
En arrière-plan, à gauche de la composition, d’élégants silos en ciment, un pont roulant, prolongés par une cheminée industrielle qui crache sa fumée dans les nuages.
La verticale de la cheminée et son reflet dans l’eau du canal marquent l’axe du tableau et donnent du souffle à la scène.  Le wagon vivement coloré de jaune renforce cette impression.  Placé à l’aplomb de la cheminée, ce wagon jaune contraste avec le reste du convoi du train de marchandises aux teintes sombres.
Les nuages animent le ciel qui chapeaute  la toile d’ordre et d’harmonie.

Les wagons du train sont à l’arrêt. Sous le pont roulant, il n’y a pas de péniche sur le canal. Dans  ce paysage, seule la cheminée est vivante.

L’industrialisation du paysage ne véhicule ni tension, ni violence, mais un équilibre apaisé.

Au premier plan, à droite de la composition, un bout d’échelle émerge du canal, vestige d’un mode de vie démodé.

Un seul personnage, minuscule et à peine visible, traverse les rails le long du canal entre plusieurs wagons. Les machines le réduisent à la taille d’un insecte.

C’est une représentation axonométrique, typique du dessin architectural et industriel.
Ce sont les rayons lumineux qui divisent l’espace de manière géométrique.

Les surfaces et les contours sont délimités avec précision, les couleurs sont claires et uniformes.

Les contours nets, la lumière et les reflets prononcés créent une toile photographique structurée et lumineuse.

Ce paysage où la nature a disparu est d’une grande poésie.

 

Analyse

Cette toile s’inscrit, avec une froide objectivité, dans un paysage où l’Amérique incarne la modernité industrielle.

I-   Sheeler suggère que le paysage industriel américain contemporain n’est pas en rupture, mais en continuité avec le paysage du XIXe.

La quasi-disparition de la figure humaine, comme dans les tableaux de nature des paysagistes du XIXe, souligne la beauté des paysages.

Le paysage pastoral célébrait l’équilibre entre nature et civilisation.

Par exemple, dans Paysage avec Orphée et Eurydice -1650-53 de Poussin, la fumée allégorique du château saint Ange rejoint les nuages gris en arrière-plan ; le second plan déploie les reflets dans le lac ; le premier plan est réservé aux personnages.

La comparaison avec la composition du paysage de Poussin montre que le paysage américain a conservé les éléments essentiels du paysage classique.

L’étendue d’eau et le ciel.
L’eau chez Sheeler n’est ni un lac, ni un cours d’eau comme chez Poussin mais, un canal rectiligne, sans flux apparent.
Chez les deux peintres le plan d’eau réfléchit le paysage.
Chez Sheeler la réflexion est partielle, les bâtisses blanches du centre de la toile se dérobent à la réflexion. La fumée qui s’échappe de la cheminée d’usine semble produire les nuages. Le convoi du train à vapeur est arrêté en travers du paysage.
La fumée d’usine se substitue à la fumée de la locomotive.
Les grands arbres, bergeries ou moulins des paysages pastoraux sont remplacés par un pont roulant, des silos, hangars et autres bâtiments industriels.
Au centre un bâtiment blanc avec des fenêtres est le seul indice d’une habitation humaine. Il surplombe la scène comme les châteaux italiens dans les paysages mythologiques de Poussin.

En célébrant le triomphe de l’industrie, de la modernité et la disparition de la nature sauvage, Sheeler rend hommage aux paysages pastoraux et en réhabilite l’esthétique.

Dans Paysage américain, la tache jaune du wagon évoque le pan de mur jaune de la Vue de Delft -1660 de Vermeer.
Le ciel nuageux est peint à la manière des ciels des tableaux flamands.

Alors que le paysage anglais s’efface pour se calquer sur une harmonie naturelle, le paysage américain se construit sur la conquête de l’ordre et de l’harmonie en occultant la nature.
La machine a subrepticement supplanté le jardin.
La production industrielle mécanisée a profondément remodelé le monde naturel.

 II-   Paysage américain raconte l’impact de l’industrie sur les paysages naturels.

En France, les puristes proclamaient la beauté inhérente de la machine, et Le Corbusier dans Vers une architecture -1923, établissait des liens explicites entre l’architecture classique et les silos du paysage industrialisé américain.
Sheeler avait sans nul doute, pris connaissance de ce texte fondateur.

Les formes géométriques, la facture léchée, contribuent à neutraliser la présence humaine. La taille nanifiée du seul personnage se lit comme l’effacement de l’être humain dans l’efficacité du modernisme et du rendement triomphants.

L’optimisme américain permet d’espérer un progrès heureux, où la technologie créerait une forme d’Arcadie post-pastorale et réconcilierait nature et civilisation industrielle.

Sheeler montre l’aboutissement du rêve américain où la machine, âme du monde moderne, exalte l’Amérique industrielle.

Paysage américain est un paysage tiré au cordeau.

Un paysage  lumineux, majestueux, un paysage photographique, un paysage terriblement humain et pourtant, un paysage qui a « mangé » l’homme.

Une échelle dans le coin inférieur droit de la toile est un vestige de l’activité humaine révolue.
L’homme passe, tel un moustique et traverse les rails.


III-   Sheeler est un adepte du style Precisionist.

 A / le style Precisionist.
Inventé en 1927 par Alfred H. Barr, directeur du Museum of Modern Art de New-York, le terme « précisionnisme » désigne l’art « immaculé » d’un certain nombre de peintres américains qui représentèrent les nouveaux paysages urbains et industriels de leur pays dans un style épuré, précis et apparemment objectif.
Nombre de ces œuvres recèlent malgré tout une tension sous-jacente entre une vision de la mécanisation comme bien social et sa tendance déshumanisante.
Ce mouvement emprunte librement aux mouvements européens, purisme, futurisme et cubisme.

Avec Charles Demuth, Charles Sheeler est le principal représentant du précisionisme.  Le paysage urbain est leur thème favori.

Ces éléments façonnaient essentiellement une identité nationale après la Première Guerre mondiale et la Grande Dépression aux États-Unis.

Le style a été interprété comme une renaissance de l’art populaire américain.

Vers les années 1910, Sheeler commence à utiliser la photographie comme inspiration pour ses peintures architecturales.
Au fil du temps ses effets novateurs de mise au point nette l’ont aidé à peindre des compositions détaillées et lissées qui correspondent à son style Precisionist.

Sheeler était à la fois photographe et peintre, chaque support influença l’autre dans son travail.

En 1920-21, il réalisa un film Manhatta avec le photographe Paul Strand. Exploitant les possibilités documentaires de la photographie et les gros plans typiques de Strand. Le film présentait des bateaux, des automobiles, des ponts et des gratte-ciels comme autant de prouesses de l’ingénierie moderne mais aussi comme des éléments omniprésents dans la vie quotidienne de Manhattan.

En 1927, Henry Ford demanda à Sheeler de prendre des photographies promotionnelles dans la nouvelle usine de River Rouge, près de Détroit dans le Michigan. Avec son propre réseau ferré, elle fonctionnait comme une vaste métropole autonome, capable de transformer les matières premières, acheminées par barges.

Dans Paysage américain Sheeler évoque le caractère monumental et la perfection de ces édifices.

D’un côté Paysage américain s’avère calme, efficace. La facture léchée, gomme les coups de pinceaux qui sont presque totalement invisibles.
D’un autre côté, le labeur des ouvriers et des employés est passé sous silence, annihilé par le progrès urbain et industriel de l’Amérique capitaliste.

B/ D’autres peintres américains contemporains aux côtés de Sheeler s’adonnent au précisionnisme :

Rue du singe qui pêche -1921 de Charles Demuth Conservé dans une collection privé
Harlem River -1928 de Preston Dickinson conservé. Au MoMA
Abstraction d’après des édifices, Lancaster 1931 de Charles Demuth Conservé à l’institut d’Art de Détroit.
Pont supérieur -1929 de Charles Sheeler Conservé à Cambridge, Harvard University Fogg Art Museum.
Intérieur américain -1934 de Charles Sheeler Conservé à New Haven, Yale University.
The Artist Looks at Nature -1934 de Charles Sheeler Conservé à Chicago à The Art Institute.
Stacks in Celebration -1954 de Charles Sheeler Conservé au Dayton Art Institute

C/ Au milieu des années 40, Sheeler change radicalement de style.
Il réduit les objets à des surfaces planes plutôt qu’à des volumes, commence à utiliser plusieurs points de vue et introduit des couleurs non naturalistes.

Son tableau Architectural Cadences –1954 Conservé au musée d’art américain de Whitney à New-York, en est une démonstration.

 

Conclusion

Charles Sheeler est un personnage important du début du XXe de l’Art américain.

Il est à la fois peintre et photographe.

Sheeler se classe parmi les plus grands photographes au début du XXe en Amérique.
Sheeler travaillait pour Henri Ford et partageait son point de vue selon lequel les usines étaient des temples de culte.
Sheeler fera aussi de la photographie de mode pour les magazines féminins tels Vogue et Vanity Fair.
Il travaille pour le Métropolitan Museum of Art à New-York, photographie de nombreuses œuvres d’art, sculptures, peintures et objets précieux.

Sheeler est un grand photographe.

Il est également considéré comme l’un des plus importants peintres du XXe de l’entre-deux-guerres.