The Reception – 1873 John Frederick Lewis

John Frederick Lewis (1805-1876)

 

The Reception

 1873

Huile sur toile

Dim 63,5 x 76,2 cm

Conservé au Centre d’art britannique de Yale à New Haven dans le Connecticut.

Le peintre

Issu d’une famille d’artistes. Il est le fils d’un graveur et paysagiste allemand installé en Angleterre.
Il apprend dans l’atelier de Sir Thomas Lawrence. Initialement Lewis était un peintre animalier. Il a peint deux grandes scènes avec des animaux -conservées dans la Royal Collection et la Tate Britain : John Clark avec les animaux à Sandpit Gate -1825.
Lewis visite l’Europe en 1827 puis voyage en Espagne et au Maroc entre 1832 et 1834.
En 1837 il est en Italie et en Grèce. Il va jusqu’à Constantinople en 1840 et poursuit jusqu’en Égypte.
Lewis a vécu au Caire de 1841 à 1851.
En 1851 il retourne à Londres. Il commence par peindre des aquarelles puis revient aux peintures à l’huile qu’il vend à un meilleur prix.

Ses scènes évocatrices de maisons, de mosquées et de marchés firent de lui l’un des peintres orientalistes les plus somptueux.

En 1859 Lewis devient un associé de la Royal Academy et un membre en 1865.

 Lewis a peint est exposé presque jusqu’à la fin de sa vie.

 

Le tableau

Le tableau représente un intérieur oriental très orné caractéristique de l’œuvre de Lewis.

Ce tableau a été peint à Londres en atelier d’après les dessins que Lewis a rapporté de son séjour au Caire.

 

Composition

C’est une composition domestique sophistiquée.

Nous assistons à la réception des invitées par la maîtresse du lieu dans la fraîcheur de son patio.

Lewis représente avec soins l’architecture intérieure de la maison.

Lewis peint ses personnages au second et au troisième plans.
Le peintre tient ainsi le regardant à distance.
Le regardant est au bout du bassin et plus bas que celui-ci. Il a une vue en contre-plongée qui lui permet de voir le décor du plafond de l’alcôve.

Au premier plan, un bassin intérieur décoré de faïences fleuries, miroite le décor et trace la perspective de la pièce.
Au second plan, les personnages structurent la composition et organisent l’espace du patio.
A gauche du tableau un groupe de femmes. Elles sont accompagnées d’une fillette et représentées en pied, leurs regards tournés vers l’alcôve centrale. Elles portent des tenues orientales soyeuses et de couleurs discrètes. Elles esquissent une révérence, la fillette apporte un coffret, probablement un présent. Elles sont précédées par un serviteur noir en tenue d’apparat qui les introduit auprès de la maitresse de maison.
A droite du tableau, une femme agenouillée au bord du bassin regarde en direction de l’alcôve, sa tenue est celle d’une servante ; à ses côtés une gazelle détourne sa tête dans sa direction.
Au troisième plan, dans l’axe du bassin, un renfoncement prolonge la pièce C’est une alcôve, un vaste divan bleu occupe les trois côtés de l’espace. Au-dessus des dossiers bleus une enfilade de fenêtres ouvertes sur un jardin.
Sur les murs des motifs de marqueterie : au-dessus des fenêtres des treillis de bois, au-dessus des treillis, encadrés par des poutres de bois, des vitraux de couleurs.
Le plafond de l’alcôve est entièrement peint de motifs floraux.
Une femme se tient debout au centre de l’alcôve, le regard tourné en direction du groupe, à gauche de la toile. C’est la maîtresse de maison, elle se tient droite et porte une robe rouge, lumineuse. A ses pieds une femme est étendue, adossée au canapée, le bras gauche replié à la hauteur de son visage et appuyé sur un coussin. La maîtresse du lieu tient à la main droite un coussin semblable, sans doute s’apprête-t-elle à s’allonger à son tour.

Les bords de la toile, à droite comme à gauche représentent d’autres alcôves. Celle de gauche sert d’entrée pour le patio -la porte restée entrouverte indique le passage du groupe. Celle de droite reproduit le même décor que l’alcôve centrale et laisse supposer que le patio est bordé d’une succession d’alcôves de repos.

Le treillis des murs, les fenêtres et les niveaux du sol ordonnent le désordre de l’Orient. Le peintre reproduit le décor oriental avec minutie.
L’architecture de la pièce permet à Lewis de jouer avec la clarté du patio et la préciosité du décor, la variété des motifs de marqueterie, la finesse du stuc ciselé et le découpage de l’espace.

Lewis décrit avec une grande précision le mobilier et les costumes.
Ce sont des costumes orientaux, les robes sont longues et couvrantes.
Les femmes portent un châle dissimulant leurs chevelures.
Le serviteur noir arbore un magnifique sarouel blanc nacré qui miroite dans la lumière, sa peau est mise en valeur par la couleur rouge de son bonnet et de son écharpe.

Pour les costumes, le peintre choisi des couleurs délicates qui jouent avec les extraordinaires effets de lumières filtrant à travers la dentelle des moucharabiehs.

Lewis applique la couleur rapidement sur un fond blanc produisant ainsi un effet brillant, un chatoiement semblable à un bijou.

La lumière diffuse installe une atmosphère sereine, le temps semble suspendu et pourtant la scène grouille de vie.

 

Analyse

L’Orient définit les contrées lointaines situées à l’ouest de l’Occident.
L’Orient est le lieu sacré où se lève le soleil.
L’Orient est le berceau de l’humanité.

L’Orient attira de longue date les voyageurs occidentaux et avec la campagne d’Égypte de napoléon en 1798, il s’ouvrait pour la première fois à un public qui ne se réduisait plus aux seuls intrépides.

Outre la campagne d’Égypte, plusieurs événements du début du XIXe, tels que la prise d’Alger par les Français, la guerre d’indépendance grecque et la publication de l’œuvre épique turque Don Juan (1818-1823) de Byron, suscitèrent un intérêt pour l’Afrique du Nord et le Proche-Orient.

Il existait deux routes principales, l’une traversant l’Espagne et le Maroc, qu’empruntaient surtout les peintres français, l’autre par la Grèce et l’Asie Mineure, préférée des anglais. Les deux itinéraires conduisaient au Caire, à Jérusalem et Constantinople, ultimes destinations.

I – L’Occident a construit l’orientalisme pour dominer l’Orient.

Le colonialisme a une grande importance dans la construction de l’orientalisme.

La réalité politique du temps, mais aussi la littérature fantasmée a constitué les fondements de l’orientalisme.  On parle de missions civilisatrices, qui appartiennent à un système politique et social.
On regarde le monde oriental selon une hiérarchie où il est impossible de confronter des objets de la même période (le XVIe en Italie et au Benin).

Au XIXe, l’Orient est une culture à conquérir.
Les scientifiques, les explorateurs et les artistes sont sur les rangs.

Il est important de prendre en compte la dimension politique et sociale pour comprendre l’art orientaliste du XIXe et du début du XXe.

Le contexte fait de projets  artistiques plus ou moins communs et d’intérêts politiques et économiques concurrentiels est extrêmement complexe.

Il y a d’une part la politique des peuples colonisateurs et d’autre part, les peintres qui ont choisi de décoloniser leurs œuvres.

Au départ, simples souvenirs, lors des expéditions, les objets sont récoltés pour témoigner que la conquête a eu lieu. Rapporter, prouve que l’on s’approprie la culture d’un autre.
Les objets sont exposés, ils deviennent un patrimoine.
L’étendue de l’acquisition de sa connaissance est justifiée par le voyage qui a permis de rapporter l’objet.
C’est une vision idéalisée qui permet de savoir et de faire savoir au regardant que l’on a acquis cette culture.
Il était d’usage au XIXe d’avoir une chambre dans le goût oriental.

Dès 1850, il y a des colonies d’artistes au Caire qui cherchent à montrer à l’Occident le merveilleux ailleurs, composé et fantasmé.

II – L’Orientalisme se développe à l’époque du romantisme

Pour les artistes, L’Orient fut un territoire mystérieux et impénétrable, d’une beauté exotique et d’un érotisme intense, fascinant dans son étrangeté.

L’orientalisme est un terme flou.
Il définit une période d’engouement pour l’Orient.
L’orientalisme est en littérature dès le XVIIIe et il est toujours là au XXIe. Ce n’est pas un mouvement, c’est une inspiration.

Pour la plupart des artistes, l’Orient est un Orient d’atelier, un Orient imaginé.

Parmi les œuvres orientalistes les plus populaires, un grand nombre ont pour thème le harem, dont les détails sont largement imaginés ou empruntés à la légende. Cette profusion de femmes séduisantes ne correspond ni à la démographie réelle des pays musulmans ni à leurs mœurs.

Les artistes ont souvent recours à des œuvres littéraires, en général des œuvres de fiction, telles les lettres persanes –1721 de Montesquieu, Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore -1819 d’Antoine Ignace Melling, jusqu’à l’Aziyadé –1879 de Pierre Loti.

Pour certains artistes c’est un orient vécu, pour Delacroix (Maroc), pour Jean-Léon Gérôme (Istanbul, Égypte) et pour John Frederick Lewis (L’Égypte, le Caire).

Le style orientaliste n’existe pas
L’orientalisme ne se rattache pas à une école ni à un style, même si nombre de ses représentants étaient des peintres académiques.

C’est l’Occident qui définit l’Orient : Un ailleurs idéal.

Chaque pays a son Orient, les contes des mille et une nuits, sont illustrés différemment en France et en Angleterre.

Parce que l’Orient est une géographie imaginaire fondée sur les productions littéraires et artistiques issues des fantasmes et des fantaisies occidentaux.

Pour les anglais l’Orient c’est l’Inde
Pour les français, l’Orient ce sont les pays du bassin méditerranéen Égypte, Maroc, Algérie. Des pays qui faisaient l’objet d’explorations, de missions d’études.

III – L’Orient signifie l’ailleurs.

Un lieu teinté d’exotisme, de sensualité et d’érotisme.
L’Orient fait aussi figure de repoussoir.
Dans les salons on découvre des toiles érotiques orientalistes qui permettent une liberté de représentation qui serait obscène si la scène se déroulait en France.

Il y a deux types d’Orientalisme :

L’orientalisme littéraire fantasmé qui s’oppose à l’orientalisme des voyageurs peignant sur place. L’Orient des voyageurs est photographique et scientifique. Les éléments que les voyageurs prélèvent sur place tout comme les photographies et les dessins sont utilisés par les peintres qui n’ont jamais voyagé.

L’Orientalisme est-il une représentation de l’Orient ?
L’orientalisme des artistes est un trompe-l’œil pour le regardant qui est frappé par les scènes exotiques.
Une confiance implicite s’instaure entre le regardant et l’artiste, un fantasme généralisé par la conviction que le tableau représente la vérité.
Le regardant croit ce qu’il voit sur la toile. Celle d’un Orient peuplé de femmes nues et dociles.

L’orientalisme est la construction d’un goût de la part des occidentaux.

Un espace politique et culturel dans lequel l’orientalisme s’inscrit.
Une inspiration commune retranscrite par les artistes.
Un regard porté sur l’ailleurs par des artistes qui n’appartiennent pas à cet ailleurs.

L’Orient qui parvient à conquérir l’inconscient collectif des Européens se distingue par l’absence de notion de temps. Il est exalté comme un lieu indéterminé entre le rêve et la réalité, où des personnages des Mille et une Nuits peuplent un paysage exotique.

Un tableau orientaliste provoque chez le regardant un voyage par procuration.
Le regardant perd ses repères et découvre l’exotisme, il est dépaysé.
Le regardant est dans une situation de plaisir,
il fait un voyage virtuel vers des contrées inconnues.

La fantaisie et l’aspiration aux plaisirs sensoriels sont indissociable.

Le seul public des tableaux orientalistes est un public occidental.

John Frederick Lewis s’immergea pendant une décennie dans la culture du Proche-Orient, notamment au Caire où il habite dans une maison ottomane.

Cette maison sert de décor à son tableau : The Reception

Lewis peint The Reception durant les dernières années de sa carrière en Angleterre. A une époque où il sollicite principalement son imaginaire tout en s’inspirant d’esquisse et de dessins réalisés alors qu’il vivait au Caire.

Dans ce tableau il met l’accent sur le décor.

IV – Lewis se démarque de la peinture orientaliste par son refus de représenter des odalisques nues.

Dans The Reception l’Orient ne s’exprime pas à travers les corps dénudés.

Le peintre s’intéresse à l’intensité de la lumière et son interaction avec l’architecture. Lewis travaille le rendu de la luminosité de ses couleurs.

Son souci descriptif s’attarde sur l‘architecture, les effets de lumières, le mouvement des silhouettes ou, des vêtements, des étoffes et des motifs comme dans son Message d’amour -1854.

La poésie est dans l’air.

Que ce soient les odalisques d’Ingres L’Odalisque –1814 ou Le bain turc -1863 ou Le bain maure -1889-90 de jean-Léon Gérôme les peintres privilégiaient les représentations sensuelles.
La thématique du harem sert de prétexte pour peindre des nus.
La nudité franche est tolérée dans le cadre de l’orientalisme.

Lewis qui ne représente que des orientales habillées est un cas à part dans le paysage des artistes orientalistes du XVIIIe.

Lewis compense ses règles de pudeur par la minutie de ses descriptions architecturales.
 

Conclusion

L’orientalisme a réussi à s’implanter dans la culture bourgeoise du XIXe par sa diversité et sa grande popularité.

La situation socio-économique de l’Europe et ses acquis techniques constituent un terreau fertile pour un renouveau religieux et culturel, un désir d’évasion exotique ou des expériences picturales.

Après avoir été largement oublié pendant des décennies, John Frederick Lewis est devenu extrêmement à la mode et cher, à partir des années 1970.

Ses œuvres atteignent aujourd’hui des prix dans les millions de dollars ou de livres aux enchères.

Les blanches falaises de Rügen – 1818-19 Caspar David Friedrich

Caspar David Friedrich (1774-1840)

 

Les blanches falaises de Rügen

1818-1819

Huile sur toile

Dim 90 x 70 cm

Conservé au Museum Oskar Reinhart « Am Stadtgarten » à Winterthour en Suisse

 

Le peintre

Caspar David Friedrich fut le chef de file du romantisme allemand. Célèbre pour avoir donné à la peinture de paysage ses lettres de noblesse.

Sa contribution à l’art du paysage en Allemagne est comparable à celle de Constable et de Turner en Angleterre.

Friedrich est contemporain d’Ingres et de Turner. Il est né l’année où Goethe publie les souffrances du jeune Werther

Né à une époque où le nord de l’Allemagne appartenait encore à la Suède, il se sent autant suédois qu’allemand.
Il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague de 1794 à 1798.
En 1798, Friedrich s’établit à Dresde où il fit l’essentiel de sa carrière.
Il renonce délibérément au voyage en Italie.
Friedrich oppose le charme du paysage germanique et du gothique aux lumières et aux ruines classiques.
Au fil du temps, les éléments symboliques deviennent de plus en plus nombreux dans ses paysages.

La carrière du peintre bascule en 1809, la critique incendie son Retable de Tretschen, et met le peintre dans la lumière.
Friedrich vend des toiles au prince de Danemark et au tsar de Russie.

Puis, les mécènes se lassent des montagnes émergeant des brumes, des personnages de dos, plongés dans une profonde mélancolie qui peuples les toiles du peintre.

L’artiste tombe dans l’oubli.

 

Le tableau

A la surprise générale, Friedrich se maria en 1818, et ce tableau célèbre l’union du couple.

Les lieux représentés sont une vue depuis des falaises de craie de Stubbenkammer sur l’île de Rügen dans le parc national de Jasmund.

Le point de vue était célèbre au temps du peintre.
Le peintre et son épouse Caroline choisirent ce lieu pour leur voyage de noces.
Ils sont accompagnés par le frère et la belle-sœur de Friedrich.

 

Composition

Un premier plan encadré par la végétation

Deux troncs d’arbres s’élèvent de part et d’autre de la toile, leur branchage se rejoignent en partie haute formant une arcade de verdure qui occupe un tiers du tableau.

Trois personnages sont représentés contemplant le paysage.

Appuyée sur le tronc à gauche de la toile, une femme en habit de ville, une redingote et une jupe rouge, est représentée de profil et assise, son bras droit tendu devant elle.
Appuyé sur le tronc à droite de la toile, un homme se tient debout, les bras croisés le regardant le voit de dos. L’homme porte une tenue traditionnelle allemande verte et son regard est tourné vers la mer et le lointain.
Au centre, allongé dans l’herbe, penché vers le vide, le peintre s’est représenté en costume de ville bleu, son chapeau est posé sur le sol, son regard est fixé sur l’abîme.

Friedrich a construit son tableau à partir d’un axe symétrique.

Les arbres sont comme une fenêtre ouverte sur une mer infinie, diluée dans des nuances de bleus et de mauves.

La femme serait Caroline, la femme du peintre.
L’homme en tenue allemande est un frère du peintre.

Cette scène qui invite à la contemplation est chargée de significations symboliques :

Les couleurs des vêtements représentent les vertus
Le bleu renvoie à la foie (croyance) le rouge à l’amour et le vert à l’espérance.
Le personnage portant le costume traditionnel allemand vert, regarde l’horizon comme symbole d’espérance.

Les trois branches qui s’entremêlent, symbolisent l’amour du couple.

La présence des voiles est allégorique, elles sont les âmes en partance pour l’éternité. Elles signifient la traversée de l’homme vers le royaume des dieux.

Le regard du peintre contemplant l’abîme est le symbole de la mort.

La simplicité est la volonté du peintre.
Sa touche est léchée, pas de surcharge.
L’unité des couleurs apporte une grande élégance au tableau.

 La composition est sobre, chaque élément est à sa place.
La mer est calme, statique, tel un désert.
Friedrich solidifie l’eau en mille reflets.
Deux voiles blanches sont plantées sur l’eau, piégées.

La toile dégage une sorte de pureté , un sentiment de quiétude.

La composition repose sur l’équilibre entre les souches d’arbres du premier plan, la géométrie des falaises et l’immensité de la mer.

 


Analyse

En Allemagne, Friedrich assiste à la naissance de la nouvelle esthétique romantique qui s’apprête à déferler sur le reste de l’Europe.
Refusant de se concilier avec les exigences esthétiques purement académiques, mais souhaitant accorder une place à l’humain dans ses œuvres, Friedrich représente dans ses toiles les personnages toujours mi-oubliés, mi-effacés, comme si l’homme ne pouvait que se sentir minuscule quand il cherche à se confronter au paysage.
Friedrich l’exprime en représentant ses personnages de dos.

A/  Le peintre évoque avec ce tableau son rapport avec la mort et la fragilité de la vie.

Friedrich croyait en l’omniprésence du sublime dans la nature, forme de panthéisme ancré dans la tradition scandinave, où la terre était dotée de spiritualité et la nature s’apparentait à une manifestation divine.

Pour Friedrich, l’étude de la nature était un acte pieu et représenter un paysage revêtait une profonde signification religieuse.

Friedrich était un homme solitaire dont la mélancolie s’expliquait par une tragédie survenue dans son enfance : son frère avait perdu la vie en tentant de le sauver alors qu’ils patinaient sur la mer Baltique gelée.

Friedrich a réalisé ce tableau alors que le romantisme battait son plein au nord de l’Europe.

Ses paysages chargés d’émotion telle La croix sur la montagne -1808, insistent sur la dimension mélancolique de la nature.

Le peintre débutait souvent ses œuvres après une longue période de méditation silencieuse, attendant qu’une image apparaisse devant ce qu’il appelait « son œil spirituel ».
Quand l’image était nette, il la peignait sur la toile, à l’aide d’une palette sombre comme dans L’Abbaye dans un bois -1809, ou d’une délicate harmonie de couleurs comme celle des Blanches falaises de Rügen.

 Rügen est la plus grande île d’Allemagne, située dans la mer Baltique, non loin de Greifswald, ville natale de l’artiste.
L’île célèbre pour sa beauté, aurait été occupée par des héros ossianiques.

Pour Friedrich, c’est le pays de l’âme, où il se sent en communion avec la nature et en harmonie avec le sublime.
The Poems of Ossian, publiés dans les années 1760 par James Macpherson sont présentés comme d’anciens contes gaéliques écossais et confèrent un vigoureux élan au mouvement romantique.
Au XIXe, le mythe d’Ossian est l’un des principaux thèmes préromantiques où se manifeste une dimension onirique.
Il inspire les peintres scandinaves, allemands et français.

B/ Le romantisme est aussi une nouvelle manière de peindre, un souci de précision.

Dans ce tableau Friedrich mêle lyrisme et intériorité.
L’univers de ce tableau ouvre sur l’infini.
Son traitement impressionniste de la mer, avec ses dégradés de couleurs soignés, reflètent l’infini du ciel, lui-même image d’éternité.
Le regard traverse la toile et se perd dans le lointain.

Les Blanches falaises de Rügen est un chef d’œuvre du romantisme allemand.

 Friedrich possédait une connaissance intime de la nature et lui resta fidèle.

Il en aborda des aspects nouveaux dans les arts visuels, tels un sol couvert de neige, la glace La mer de glace -1823-24, une mer qui s’étend à l’infini Blanches falaises de Rügen, ou d’étranges effets de lumière La croix sur la montagne –1808.
Ses visions des majestueuses forêts du nord était des plus germaniques.

Friedrich fut explicitement nationaliste et, malgré des décrets royaux interdisant cette pratique, il peignit fréquemment des hommes portant l’habit allemand traditionnel, comme dans les Blanches falaises de Rügen.

Il peint aussi des paysages ravagés comme L’Abbaye dans un bois-1809 qui symbolise le triste état de la nation allemande durant les guerres napoléoniennes.

Sa Croix sur la montagne -1808 Sa croix domine l’astre solaire,  est un hymne à la nuit qui s’avance et à la solitude.
Friedrich a une passion démesurée pour les nuits du Nord.

C/ Ce qui compte dans ce tableau c’est la symbolique que génère la composition.

Friedrich compose une réponse émotionnelle au paysage qu’il a contemplé puis fixé sur sa toile.

L’ensemble des personnages représentés tournent le dos et forcent le regardant à regarder dans la même direction qu’eux.

Les hommes sont immobiles et pensifs, seule la femme qui tend son bras, bouge et anime le tableau.

Tous les éléments de la composition ont un intense pouvoir suggestif.

C’est au regardant à laisser vagabonder son imaginaire, au regardant de s’imaginer les pensées qui peuvent occuper l’esprit des personnages.

D/ Le romantisme est le rejet de la raison au profit du sentiment.

Le courant romantique a irrigué tous les arts, la littérature, la musique et la peinture.

Le romantisme est l’expression d’une révolte d’une sensibilité personnelle contre l’étau d’un ordre établit par tous.

L’incertitude de la destinée est  romantique.
Lamartine l’exprime : « Mes yeux dans l’univers n’ont vu qu’un grand peut-être »

Le romantisme traduit les sentiments humains les plus intimes, l’amour, la mort, la peur, le vertige du tragique en les confrontant à l’immensité d’une nature grouillante de vie.

Dans cette mouvance allemande entrainée par Goethe, Friedrich est un cas isolé.
Oublié après sa mort, ce sont les surréalistes qui l’ont sorti du néant.

 

Conclusion

Le romantisme est un mouvement européen qui se manifeste dans les lettres dès la fin du XVIIIe en Angleterre et en Allemagne, puis au XIXe en France, en Italie et en Espagne.

Il cherche l’évasion dans le rêve, dans l’exotisme ou le passé, il exalte le goût du mystère et du fantastique.

En France les deux peintres les plus célèbres du romantisme sont Delacroix et Géricault, surtout célèbres pour leurs peintures historiques.
En Angleterre c’est Turner, en Espagne Goya et en Allemagne Friedrich.

Les écrivains français sont chateaubriand, Stendhal, Hugo, Lamartine et Balzac.
Les musiciens sont allemands italiens et français, Beethoven, Rossini, Schuman, Berlioz

Friedrich n’a ni le génie de Turner, ni celui de Delacroix, il possède une grâce qui n’appartient qu’à lui dans cette façon qu’il a de fêter la lumière qu’elle soit naissante ou déclinante, de proposer une métaphore de l’infini sans jamais tenter de l’imposer et surtout de célébrer la solitude fascinante de l’être humain face à son destin.

Friedrich écrit : « Le peintre ne doit pas seulement peindre ce qu’il voit devant lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. S’il ne voit rien en lui, qu’il renonce à peindre ce qu’il voit devant lui ! ».

Tandis que Turner ou Delacroix ont connu le succès de leur vivant, l’œuvre de Friedrich a été reconnue bien après sa mort, au XXe.

Friedrich  est mort dans l’indifférence.

Aujourd’hui il est considéré comme le plus influent des peintres romantiques allemands.

Ses tableaux font désormais partie du patrimoine germanique et sont conservés pour la plupart dans des musées allemands.