Nativité – 1470-75 Piero della Francesca

 

Piero della Francesca (1415-1492)

 

Nativité

 

1470-75
Huile sur bois de peuplier
Dim 124,4  x 122,6 cm

Conservé à Londres, à la National Gallery

 

Le peintre

Sur le plan scientifique, voire mathématique, Piero della Francesca est l’un des artistes les plus rigoureux de la Renaissance.

Ses compositions aux couleurs exquises sont de véritables démonstrations de géométrie, avec des personnages sereins, harmonieusement disposés en cylindres, sphères ou ovales. Le peintre a une maîtrise parfaite de la perspective, du raccourci et du point de vue.

Piero della Francesca passe la plus grande partie de sa vie à Borgo Sansepolcro, ville marchande de Toscane, où sa famille prospère possède plusieurs entreprises. Il vit également plusieurs années à Florence où il étudie les figures massives de Masaccio, les constructions en perspective de Léon Battista Alberti, l’élégance simple des compositions de Fra Angelico et l’art de la lumière de Domenico Veneziano. Il est influencé par les écoles de Ferrare et de Venise. Il s’inspire de ces éléments dans ses œuvres, créant son propre style grâce à l’influence de ses maîtres.

Malgré ses attaches à Sansepolcro, il travaille dans nombre de cours italiennes et est engagé un moment à Ferrara dans le nord.
En 1459 il réalise une fresque au Vatican (aujourd’hui disparue). Il est surtout très lié à Urbino, alors sous le règne du duc Federico da Montefeltro. Brillant militaire, ce dernier est aussi un érudit. Comme les Médicis de Florence il souhaite établir une cour somptueuse pour y recevoir humanistes, poètes et autres artistes. Piero della Francesca exécute un certain nombre d’œuvres pour lui, dont La Flagellation du Christ, La Vierge à l’enfant entourée de saints et de Federico da Montefeltro et le portrait de Federico et de sa femme.

Vers la fin de sa vie Piero della Francesca, cesse de peindre pour se consacrer à l’étude des mathématiques et de la perspective. Il rédige deux traités de géométrie : De la perspective en peinture et Des cinq corps réguliers.

Selon Vasari Piero della Francesca est devenu aveugle, ce qui expliquerait ce passage de la pratique à la théorie.

 

Le tableau

Ce tableau serait un cadeau de mariage destiné à Francesco, neveu de Piero.

Par une journée ensoleillée dans la vallée du Tibre, on découvre Marie et l’Enfant Jésus, Joseph, les bergers et les anges musiciens avec en arrière-plan, l’église principale de Borgo Sansepolcro.

Sans doute, inachevé (on observe des traces du dessin préparatoire dans le manteau de Joseph) par Piero della Francesca, Nativité n’en est pas moins lyrique et parfaitement composé.

Le tableau que l’on peut voir aujourd’hui, est endommagé par une restauration du XIXe qui a effacé certains des visages du groupe des personnages.

Nativité représente une combinaison de la Vierge adorant l’Enfant Jésus et de l’Adoration des bergers.

Le peintre se conforme à la tradition toscane qui plaçait la scène devant une vraie étable ancienne, une bâtisse en ruine.

 

Composition

Devant, sur cette scène surélevée, les anges et la Vierge agenouillée forment, au premier plan, un arc en demi-cercle autour de l’Enfant qui allongé tout nu sur un pan du manteau de sa mère, tend les mains vers elle.
La Vierge :
Elle apparait figée, absente du monde réel. Son visage limpide est plongé dans la prière et l’extase, conformément à la tradition.
Le groupe des anges :
Le groupe des cinq anges, trois musiciens et deux chanteurs de laudes, leur joie attire l’attention du spectateur.
Le groupe des anges contraste par sa suavité céleste devant une étable en piteux état où leurs pieds nus foulent un sol caillouteux.
Deux anges jouent du luth le troisième de la viole.
Les deux chanteurs à l’arrière-plan portent des étoles. On reconnait le motif emprunté à l’art flamand avec des vêtements ornés de pierres précieuses, des coiffures ornementales et des colliers de perles.
Le peintre insiste sur la beauté et l’élégance vestimentaire pour attester de l’origine céleste des personnages.

Au second plan,
Au centre du tableau le bœuf, curieux, penche sa tête en direction de l’Enfant ; l’âne dont on aperçoit seulement la tête est entrain de braire.  À droite de l’étable sont figurés trois personnages, Saint Joseph et les deux bergers :
Comparés au groupe des anges, les trois personnages de droite sont atones.
Saint Joseph est assis et regarde ailleurs. Il porte un manteau rose sur une robe noire et un bonnet bleu foncé à larges bords.il est assis sur le bât de l’âne. Les bergers debout sont en adoration. Ils tiennent à la main leur bâton de berger. L’un d’eux a le bras droit levé, sa main indique l’étoile. Ils portent des bonnets rouges et des tuniques marrons. Leurs mises confirment la volonté du peintre de restituer la simplicité des gens du quotidien.

À l’arrière-plan

À droite, on aperçoit une petite ville de l’Italie du centre avec ses tours de palais carrés, avec campanile gris et pointu et toit marron clair.
À gauche, on aperçoit un paysage arboré et montagneux, peint comme une miniature.

Pour signifier l’éloignement, relatif à une diminution d’échelle, Piero della Francesca efface des parties du paysage en corrélation avec sa sensibilité et son exigence à restituer la juste perspective.

Une lumière pâle -propre au peintre, baigne la peinture. Le mur de brique grise reçoit un rayon de soleil venant de la gauche, dans le respect des conventions picturales du XIVe.

Le visage très finement peint de la Vierge témoigne de la maîtrise de la peinture à l’huile que Piero della Francesca a repris de la peinture flamande.

 

Analyse

C’est sa manière personnelle de traduire une iconographie conventionnelle avec un réalisme poétique immédiat, qui fait tout son art.

Son expression poétique se traduit par la simplification géométrique des volumes, l’immobilité des gestes cérémonials (observez les luths n’ont pas de corde), l’attention à la vérité humaine (l’enfant gigote, les bras levés -l’âne braie, le bœuf regarde…). Marie admire son enfant. Une attitude banale pour une nativité.

Cette dernière œuvre du peintre a un rendu très réaliste.
Une simple cabane de bergers et peu de relation spatiale entre les personnages. Il n’y a pas de lien entre les trois groupes de personnages (les anges, les bergers et joseph, La Vierge et l’Enfant)
Il utilise le motif du bât (siège de saint Joseph) pour signifier l’inconfort et la simplicité de la naissance du Christ.

L’auvent est mangé de mousse. Le sol est rocailleux. Piero della Francesca s’applique à restituer une image parfaite de la réalité naturelle, très différente du soin et de l’artifice décoratif qui caractérisent ses autres tableaux.

Le projet du peintre est de transcender l’image. Il a une façon toute particulière de recourir aux couleurs tendres et lumineuses qui transforment sa peinture.
Ce glissement de l’esthétique à la poétique que l’on décèle dans sa lumière et dans la géométrie de ses formes, sont les prémices de l’art de Vermeer.

De par son apparente pureté formelle, sa peinture exerce un intérêt direct sur le spectateur. La perspective chez Piero della Francesca s’intéresse moins à l’espace qu’à l’objet, elle est l’instrument d’une spiritualisation de l’objet par le regard.

Signifier les événements les plus extraordinaires dans la réalité la plus ordinaire, est la façon du peintre de présenter l’incarnation divine.

 

Conclusion

Piero della Francesca termine sa carrière avec ce tableau.
Il serait devenu aveugle à cause d’une cataracte.

Piero della Francesca fait partie de la deuxième génération des peintres-humanistes de la Renaissance. Héritier de Platon, de Vitruve et d’Alberti, son combat constant est de s’affranchir des normes gothiques et du statut artisanal de la peinture.

Il introduit l’ordre, la géométrie, la perspective, avec le désir de faire de ses peintures une science artistique.

Même s’il n’est pas le premier à l’appliquer, Piero della Francesca a porté l’art de la perspective à des sommets et reste une référence au-delà des peintres de la Renaissance. Après trois siècles au profit, entre autres, de Michel-Ange, Raphaël et Léonard de Vinci , ce sont les symbolistes, les préraphaélites qui le redécouvrent au XIXe siècle.

Son art mêle hauteur et humanité. 

mains mariées

Van_Eyck_-_Arnolfini_Portrait
Van Eyck peint ce tableau en 1434
Arnolfini et sa femme est une huile sur panneau
conservée à Londres, à la National Gallery.

Le peintre représente les personnages à l’instant de l’échange de leurs promesses.
Le tableau est un double portrait et un certificat de mariage.

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