La mise au tombeau – vers 1612 Rubens

Pierre Paul Rubens (1577-1640)

  

La mise au tombeau

 Vers 1612

Huile sur toile

Dim 131 x130 cm

Conservé à Cambrai en l’église Saint Géry

 

Le peintre

Rien ne destine Rubens à la peinture. Si les péripéties familiales en avaient décidé autrement, il aurait sans doute rempli d’importantes charges publiques à Anvers. Son père, juriste, l’initie au latin. En 1590, sa mère le place comme page chez la comtesse Marguerite de Ligne d’Arenberg.
Rubens a treize ans ses études sont achevées. Outre l’enseignement du latin, Rubens reçoit celui du peintre romaniste Otto van Veen, un peintre érudit qui achève la formation du jeune Rubens et lui transmet cet idéal de peintre savant.
1600-1608, Rubens part en Italie parfaire sa formation. Il voyage à Florence, Rome, Gênes.
Rubens a très tôt non seulement une connaissance de la rhétorique antique, mais aussi une pratique en Espagne que lui confie le duc de Mantoue dès 1603.
1609-1621, retour à Anvers où il fonde son propre atelier.
1622-1625, Rubens est appelé à Paris par Marie de Médicis pour décorer la galerie de son palais du Luxembourg. Le cycle sera conçu à Anvers.
1627-1630, l’infante Isabelle lui confie des missions diplomatiques pour trouver une solution de paix entre l’Angleterre, l’Espagne et la Hollande. Rubens part à Madrid.
1630-1640, Rubens passe les étés dans sa résidence d’Het Steen à Elewijt, loin de l’agitation publique, il réalise de somptueux paysages.

Rubens dépasse de loin ses collègues par ses talents et ses ambitions de gestionnaire et de promoteur. Son atelier atteint un tel niveau d’organisation que même pendant l’absence du maître lors de ses missions diplomatiques toujours plus longues, sa production ne faiblit pas et des graveurs de grand talent assurent un large diffusion de ses compositions à travers toute l’Europe.

Le génie de Rubens fut récompensé de son vivant par une prodigieuse ascension sociale qui culmine avec son anoblissement par le roi d’Angleterre puis le roi d’Espagne.

 

Le tableau

En tant que retable cette œuvre apparaissait directement au-dessus du prêtre pendant la messe.

Jouant le rôle de rappel puissant du dogme de la transsubstantiation.

 

Composition

L’action se déroule au premier plan.

Le groupe des personnages sature l’espace du tableau.
Le tout prédomine sur la partie.

Au centre de la composition, le corps du Christ, descendu de la croix après sa crucifixion.
Il est soutenu par saint Jean et Marie.
Marie est éplorée, les yeux levés vers le ciel.
Entourant Marie, deux femmes sont en pleurs.
Le tombeau est une grotte que l’on devine à l’arrière-plan.

Saint Jean l’évangéliste, drapé dans une robe rouge, occupe le coin gauche de la composition, derrière le Christ, il soutient son buste, sa tête calée au-dessus de la tête du Christ. Il a une attitude de grande tristesse.
À sa gauche, trois femmes dont Marie éplorées.

Le corps du Christ initie une diagonale sur laquelle s’enroulent les personnages qui l’entourent et le soutiennent.
L’oblique du corps du Christ et la courbe des personnages, rythment le tableau et le dynamisent.

Le cadrage est très serré.
La dimension théâtrale est à son sommet.
On reconnaît les couleurs des chairs, le rendu des étoffes, la torsion des corps, l’expressivité des visages propres à l’art baroque.

 La lumière noie les contours.

La narration est servie par le traitement des formes, l’emploi des couleurs et l’emploi de la lumière conjuguée aux ombres.

Les couleurs principales sont hautement symboliques.
Le Christ est d’un blanc nacré évoquant la mort, le blanc de son linceul est la couleur de la résurrection, le rouge de la robe du saint rappelle le sang versé du Christ et la folie des hommes.

La lumière flache sur le corps du Christ et rebondit sur les visages.

Si les mains de la Vierge sont vivantes, son visage à la même couleur nacrée que le corps de son fils.
Ce détail associe la souffrance de la mère à la souffrance du fils.

Ce n’est pas le dessin qui structure la composition.
Ce sont les éléments tactiles et chromatiques qui accrochent l’œil du regardeur.
Rubens suggère une perception très physique avec la musculature du corps du Christ.

Le regardeur est de plein pied avec le drame.
Il est acteur et partie prenante de l’action spirituelle.

 

Analyse

Face aux attaques protestantes contre la croix et le crucifix,

I-   La Contre-Réforme adopte une série de recommandations iconographiques, Rubens y adhère :

Les représentations de la crucifixion doivent désormais être vraisemblables d’un point de vue historique, ce qui entraîne des recherches approfondies sur les sujets tels que le nombre de clous utilisés pour fixer les mains et les pieds du Christ sur la croix.

L’art sacré doit être lisible, facile à comprendre, efficace dans sa manière d’émouvoir le regardeur.

Le jésuite Ignace de Loyola comprend l’importance de l’art en tant qu’instrument de persuasion, en particulier pour les illettrés et encourage l’utilisation d’images dans la pratique personnelle de la foi.
Il associe l’image à la prière et à la méditation.
Les jésuites réaffirment Le rôle de la rhétorique comme principe de l’art.

Les études récentes sur l’histoire et la peinture religieuse de cette période dépassèrent la vision du XIXe selon laquelle la Contre-Réforme serait l’antithèse de l’humanisme naissant, pour reconnaître l’intense créativité qu’elle a suscitée dans les entreprises intellectuelles et culturelles ainsi que la vaste production artistique qu’elle a soutenue.

La rhétorique de Rubens est une technique de persuasion, renforcée par le décret du concile de Trente « sur l’invocation, la vénération et les reliques des saints, et sur les saintes images ».

Le décret affirmait le pouvoir de l’image en soulignant ses fonctions pédagogiques et mnémoniques. L’image devait selon le précepte énoncé par Cicéron à propos de l’éloquence, « instruire, émouvoir et plaire ».

Instruire exigeait qu’elle fût intelligible, donc simple et claire ; émouvoir impliquait qu’elle toucha le cœur du fidèle en excitant son admiration ou sa
piété ; plaire supposait qu’elle trouvât les moyens de séduire le regard et l’âme du regardeur.

Rubens sait que la rhétorique offre aux artistes une méthode pour organiser un discours visuel capable de transmettre une idée, une émotion ou un plaisir. Ses tableaux portent la marque de cette formation.

Rubens clarifie l’iconographie pour adhérer aux préceptes de la Contre-Réforme. Il accorde une grande importance aux sens, à l’émotion et à l’imagination.
Le rôle de l’art est d’enregistrer et de véhiculer les mouvements intérieurs des émotions.

Rubens traduit de façon dramatique la transsubstantiation.
Avec des procédés d’illusion, il induit que le corps et le sang du Christ descendu par le groupe de personnages passe du monde bi-dimensionnel du tableau à la table de l’autel au-dessous du tableau.


II-   La mise au tombeau, c’est-à-dire le placement de son corps dans le sépulcre après sa descente de croix, est visualisé avec une émotion intense par Rubens.

Les expressions de douleur et de détresse du cortège, les couleurs vives et le modelé soigneux confèrent une tonalité tragique à la scène.
Des signes de violence sont visibles sur le torse du Christ, une plaie ensanglantée choque le regard.
Sa chair meurtrie et les tons nacrés de sa peau témoignent de ses souffrances et de sa mort.

Le robe rouge de saint Jean l’évangéliste est un symbole de son sang.

La gerbe de blé sur laquelle le Christ repose est une allusion à l’hostie de l’eucharistie.

Rubens montre un corps du Christ musclé et vigoureux.
Le corps du Christ prend un volume sculptural.
Rubens le représente mort, la tête inclinée sur l’épaule, retenue par la main de Marie.
Le corps du Christ a une présence palpable.

Rubens considère comme importante la lisibilité de l’œuvre.
Il veut exprimer ses idées avec clarté et un format large rend l’opération plus facile.
Rubens n’est pas un peintre de fleurs. Les formats qu’il emploie, les sujets qu’il traite le confirment.

La clarté de la narration dans ce tableau se fonde sur l’éloquence du corps du Christ.

Les gestes des personnages appuient leurs expressions et contribuent à la narration. Les gestes se substituent à la parole.

Rubens associe dans sa composition, l’invention et la disposition.
L’invention consiste dans la disposition des personnages qui permet un lecture aisée.
Rubens rétrécit l’espace autour des personnages.
La lecture frontale de ce tableau est servie par une série d’éléments conventionnels -gestes, expressions, éloquence du corps du Christ.

La composition s’organise de façon à montrer le pathétique de la scène.
Les deux femmes encadrent la Vierge et la soutiennent.

Cette composition resserre les personnages et disposent leurs têtes selon une courbe qui ramène l’œil du regardeur vers le corps du Christ.

 Rubens a assimilé les leçons de Caravage et des Vénitiens.
Son coloris n’est pas uniforme.

Dans ce tableau la gamme chromatique est réduite et chargée de symboles, la lumière conjuguée aux couleurs organise la narration.


III-   Rubens admirait La mise au tombeau de Caravage.

Pour preuve la version qu’il a peinte après son retour d’Italie. Cette version est le prototype d’une série de tableaux qu’il a peint sur ce thème peu de temps après et dont fait partie le tableau étudié.

On peut dire que la comparaison sur ce thème, des tableaux de Rubens et de celui de Caravage sont le jour et la nuit.

Contrairement à la théâtralité statique de Caravage, Rubens met en valeur :
La présence physique du corps inerte
L’unité du groupe
L’engagement respectif des personnages dans la mise au tombeau du Christ.

Rubens attribue à la Vierge son véritable rôle dans la rédemption des peuples et, il gomme la confusion du tableau de Caravage en ce qui a trait à l’identification des deux Maries à l’arrière-plan.

 

Conclusion

Rubens peint la joie ou le pathétique, le sublime ou l’humble et adapte à chaque fois sa narration au sujet qu’il traite.
Rubens s’applique à restituer un effet qu’il traduit par un mouvement capable d’émouvoir le regardeur.
Rubens ne cherche pas le « pittoresque » du détail vrai, il peint le mouvement joyeux ou triste.

La recherche de la clarté est toujours première.

Rubens désire peindre l’abondance, abondance dans l’invention, dans le coloris, dans le mouvement.
Il invente un langage visuel qui lui donne sa force de persuasion et de séduction.
Clarté, élégance et convenance, jalonnent l’œuvre de Rubens.

Contrairement à la peinture iconique de Philippe de Champaigne, celle de Rubens ne nous tient pas par un concept mais par la jouissance visuelle.
Elle opère une séduction par le geste, le corps et l’éclat.