Le pape Paul III avec ses petits-fils -1545 Tiziano Vecellio dit Titien

Tiziano Vecellio dit Titien (1485/90 – 1576)

 

Le pape Paul III avec ses petits-fils

1545

Huile sur toile

Dim 240 x 174 cm

Conservé à Naples, Museo Réal Bosco di Capodimonte

 

Le peintre

Titien est envoyé par son père dès l’âge de neuf ou dix ans à Venise afin de faire son apprentissage de peintre.
Il apprend l’art de la peinture auprès de deux maîtres vénitiens, Giovanni Bellini et Giorgione. Giorgione lui apprend à suggérer les formes des personnages par la couleur plutôt que souligner leurs contours.
En 1508-1509, Giorgione et Titien travaillent ensemble aux fresques des murs extérieurs du Fondaco dei Tedeschi (entrepôt des marchands allemands) à Venise. Les parties réalisées part Titien sont jugées meilleures, ce qui contrarie Giorgione.
En 1510, après la mort de Giorgione, Titien devient le premier maître de la ville. Il se forge une réputation grâce,
-aux fresques qu’il réalise en 1511 pour la Scuola del Santo à Padoue,
-au retable monumental figurant l’Assomption, de l’autel de Santa Maria Gloriosa dei Frari à Venise -1515-1518, qui montre la Vierge s’élevant de façon spectaculaire d’un groupe d’apôtres,
-aux commandes de portraits.

C’est également un peintre de scènes mythologiques très estimé des élites intellectuelles.
En 1518, Alphonse d’Este, duc de Ferrare, lui commande une série de peintures inspirées de la poésie antique. C’est son premier mécène non vénitien. Suivent des commandes des cours de Mantoue et d’Urbino et, à partir de 1545, du Saint-Siège sous le pontificat de Paul III.
Le plus prestigieux mécène de Titien est Charles Quint, empereur romain germanique, et son fils Philippe II d’Espagne : Titien devient le premier peintre de la cour impériale et se voit accorder les titres de comte palatin et chevalier de l’Éperon d’or, un honneur sans précédent pour un artiste.
A partir des années 1550, Titien adopte une technique plus relâchée, son traitement devient impressionniste. `
À la fin des années 1560 et au début des années 1570, il demeure novateur malgré son grand âge, poussant son art aux limites de l’abstraction avec des œuvres telles que Le Supplice de Marsyas –1575-76.

Peintre précoce, dépassant un maître incontesté, digne héritier de la culture élitiste de Giorgione, Titien est devenu le « centre » de la nouvelle peinture vénitienne.
Titien a travaillé pendant plus soixante-dix ans pour les plus importants mécènes européens.

Titien meurt de la peste dans la cité des Doges.

 

Le tableau

Âgé d’une soixantaine d’années, Titien accepte l’invitation du pape
Paul III Farnèse et de son petit-fils, le cardinal Alessandro, dans l’espoir d’assurer à son fils Pomponio un revenu provenant des bénéfices ecclésiastiques de l’abbaye San Pietro in Colle. Ça ne se réalisera pas.

Titien est chargé de peindre un tableau qui légitime la politique dynastique sans scrupules menée par le pape, lequel va jusqu’à détacher les territoires émiliens des États pontificaux en septembre 1545 pour les attribuer à son fils Pierluigi.

La tableau est inachevé, le pape n’a qu’une main.
Peut-être parce que Titien attendait une réponse concernant les bénéfices qu’il espérait pour son fils Pomponio. C’est Alessandro qui a invité Titien à Rome avec la promesse de gagner sa vie pour son fils, en échange d’une taxe. Finalement, le fils de Titien a été récompensé par une petite paroisse valant une fraction de l’offre initiale. Une récompense insultante pour le temps et les efforts du peintre.

Pendant plus d’un siècle le tableau est resté sans cadre, dans les caves de la famille Farnèse à Rome jusqu’en 1644, comme l’atteste l’inventaire du palais Farnèse, et ce n’est qu’en 1653 qu’il eut droit au rideau de taffetas vert destiné à protéger les œuvres importantes.

Le tableau a fini par rejoindre les cimaises du musée national Capodimonte à Naples.

  

Composition

Le pape est légèrement décentré sur la gauche, assis à son bureau, avec son camauro (bonnet papal rouge bordé d’hermine), sa mosette (courte pélerine descendant jusqu’au milieu du torse) et son anneau (orné d’une pierre et suffisamment large pour que le pontife puisse le passer par-dessus les gants liturgiques) bien en vue.

À la droite de son grand-père, le cardinal Alessandro Farnese, debout derrière le siège du pape, la main posée sur le dossier pour indiquer la passation de pouvoir souhaitée par Paul III.

À sa gauche, Ottavio -futur héritier du duché de Parme et de Plaisance et médiateur des relations avec Charles Quint, grâce à son mariage avec Marguerite d’Autriche, est sur le point de terminer le rituel des révérences, qui consistait en trois prosternations et se terminait par une génuflexion et un baiser sur le pied du pape.

Titien à décentré le pape pour l’insérer dans la diagonale qui relie ses deux petits-fils. Le pape est assis, les petits-fils sont debout et encadrent le pape.
Ce choix dynamise l’action. Les petits-fils participent activement à la scène.

Un grand rideau occupe le fond du tableau. Son mouvement épouse la forme d’un dais au-dessus du pape.

Titien traite les différents tissus avec maîtrise, et décline toute la gamme chromatique des rouges.

Cette cohérence chromatique structure la scène.

Le tableau illustre la vieillesse du souverain pontife et les doutes qui entourent sa succession.
La composition témoigne des relations complexes entre le pape et ses petits-fils.

Ce portait est exécuté à l’aide d’un pinceau dense, avec un grand souci du détail.

La mise en scène de la composition donne un accent de réalité saisissant. 

La lumière est diffuse.

 

Analyse

Quand il arrive à Rome en 1545, Titien est un des portraitistes les plus recherché par les cours européennes.

Dans ce portrait, Titien évoque le portrait de Raphaël.
Portrait de Léon X avec les cardinaux Jules de Médicis et Luigi de Rossi –1518, connu à Mantoue par une copie d’Andréa del Sarto.

Ce tableau a été peint pendant les années de maturité du peintre, s’étendant de 1530 au milieu des années 1550.
Cette période médiane de vingt-cinq années révèle un style à multiple facettes.

La Vierge au lapin –1530 et le Saint Jérôme pénitent –1530 ou 1540.

Ces deux œuvres de Titien sont proches de Lorenzo Lotto et témoignent de la concurrence qui régnait entre Titien et ses contemporains.

Dans Le pape Paul III avec ses petits-fils, Titien accorde une grande importance au rapport entre composition et format.

Les figures s’harmonisent avec l’arrière-plan.

C’est un portrait novateur par sa liberté de touche.

Il existe un contraste entre la liberté de touche caractérisant les drapés et la peinture précise des visages et de leurs expressions.

I-    Titien est le maître de la couleur

Par l’entremise de Giorgione, Titien se trouve au cœur des avancées esthétiques les plus marquantes à l’aube du XVIe.

Giorgione apprend à Titien à élaborer sa toile à partir d’une préparation sombre, abruptement esquissée, qu’il affine et éclaircit progressivement jusqu’au glacis lumineux de la touche finale.

Titien utilise des pigments à l’huile, qui mettent plus longtemps à sécher lui permettant de transformer sa composition alors même qu’il est en train de peindre. Les couleurs huileuses, contiennent moins de résine.

Cette méthode d’improvisation laisse libre cours à sa verve.
Titien a le pinceau « éloquent » : (réf. Rosand, 1981).

Le dessin est moins net, la spontanéité de l’expression se ressent à travers les nombreux repentirs visibles.

Dans Le pape Paul III avec ses petits-fils, Alessandro dans un premier jet était plus éloigné du pape, la figure a été rapprochée du fauteuil à la demande du cardinal.

Les temps de séchage et de vernissage sont raccourcis.
D’où le coté vaporeux des textures qui baignent le tableau.
Cette méthode a montré que la couche picturale vieilli mal.

Giorgione a appris à Titien à « peindre seulement avec les couleurs elles-mêmes, sans étude préalable de dessin sur le papier » comme le rapporte Vasari.

La pape Paul III avec ses petits-fils révèle une étonnante polychromie.

C’est à partir de la couleur qu’il crée son décor, l’atmosphère de son tableau.

C’est la richesse des couleurs, les rouges profonds de la nappe, le blanc spectral de la robe du pape, qui en fait tout son intérêt.

Titien a le sens de la composition.

Ce tableau est l’une des œuvres les plus fines et les plus pénétrantes de Titien.

C‘est aussi à l’époque de ce portrait qu’il peint en 1544, sa Danaé, commandée par le cardinal Alessandro Farnese.

Titien est censé représenter Angela, la maitresse du commanditaire.
De nombreuses reproductions de cette femme du plaisir circuleront à travers l’Europe.
Rembrandt puis Ingres s’inspireront de ce tableau où la figure au déhanchement délicat naissant sur un dos interminable est héritée des antiques déesses.

Titien éclaire ses tableaux de biais pour bousculer les formes.

Il concentre sa lumière sur ses figures principales, et glace les détails du fond sous une teinte chaude.

II-   Petites histoires des personnages :

Le pape Paul III avait embrassé la carrière religieuse dans le seul but de s’enrichir. Il avait sa propre concubine, avec qui il a engendré quatre enfants. Il a fait de ses deux petits-fils des Cardinaux et a amassé une énorme fortune personnelle provenant entre autres, des impôts de l’église.

Titien le représente le corps tourné dans un sens et la tête de l’autre. C’est un pape plein d’énergie, ses yeux sont brillants et scintillent de sournoiserie.

À l’époque du tableau, Paul III gouvernait dans un climat politique incertain, alors que Charles V, empereur du Saint Empire romain germanique arrivait au pouvoir.

C’est vers 1545 que Charles V prend l’avantage politique et militaire, affaiblissant l’emprise de Paul III sur la papauté.

Conscient des changements d’influence, Titien abandonna le tableau avant son achèvement.

Le cardinal Alessandro n’est pas plus religieux que son grand-Père. Il a de nombreuses maîtresses et détourne d’énormes sommes d’argent de l’église dans sa collection d’antiquités rares et dans l’art de la Renaissance au palais Farnèse à Rome.
À sa demande, dans ce tableau, Titien le rapproche du pape, en signe de prétention à la papauté. Le peintre lui octroie une expression ambivalente.

Quant à Ottavio, le langage corporel dévoile un personnage ambigu .
Son visage grave évoque un important différent entre lui et le pape sur le duché de Parme, qui lui avait été promis au départ et qui se dirigeait vers un parent du roi de France.

L’iconographie de ce tableau dévoile la petite histoire des personnages.
Leurs expressions relatent leurs histoires. Ce tableau est un chef d’œuvre d’introspection psychologique.
Ce tableau est destiné à un public lettré et informé.

Le tableau fonctionne par ses références codifiées.

 

Conclusion

Aujourd’hui, cette œuvre est considérée comme un exemple particulièrement brillant de ces portraits de cour qui cristallisaient la dynamique du pouvoir dans les familles nobles du XVIe. Elle contribue à l’édification d’une image de la famille Farnèse, qui, en 1577, ira jusqu’à commander à Giovanni Battista della Porta des bustes monumentaux en marbre de Paul III.

Titien est une figure majeure du XVIe.
C’est le plus grand peintre du XVIe à Venise.
Toute sa vie durant, son style et sa conception de la peinture ne cessèrent d’évoluer.

Au fil de sa longue carrière, il demeure un maître inégalé de la couleur, avec des tons profonds, intenses et évocateurs.

Dessin – un portrait de 1504-1505 Raphaël

Un des plus beaux dessins de Raphaël.
On retrouve l’héritage de la collaboration avec Le Pérugin, la stricte régularité géométrique de Piero della Francesca, et les bustes portraits du sculpteur Francesco Laurana pour la cour de Federico Montefeltro.
Toutes ces influences forgent le style de Raphaël.
Le rendu de ce dessin tend à la perfection.