Vierge à l’Enfant et deux anges – 1460-65 Filippo Lippi

Filippo Lippi (1406-1469)

 

Vierge à l’enfant et deux anges

1460-65

Tempera sur bois

Dim 92,1 x 63,5 cm

 

Conservé au musée des Offices à Florence

 


Le peintre

Lippi était frère convers au couvent des Carmes à Florence. Il est entré dans les ordres malgré lui, sa vocation est la peinture. Il ne respecte pas ses vœux et particulièrement celui de la chasteté.

Lippi a eu la chance d’être remarqué par  Cosme de Médicis (1389-1464) qui le  protégea.

Filippo Lippi peint de sublimes madones innovantes dans leur composition.

 

Le tableau

Ce tableau est le plus célèbre de F. Lippi.

Le visage de la Vierge est inspiré de celui de Lucrezia Buti, l’épouse de Filippo Lippi.

La belle Lucrezia est une religieuse de vingt ans, elle sert de modèle à P. Lippi. Le peintre tombe amoureux. Il enlève la religieuse qui est enceinte. Le scandale éclate, Cosme de Médicis intervient auprès du pape Pie II qui accorde la grâce à Lippi et relève de leurs vœux les deux intéressés. En 1458, il épouse la jeune Lucrezia. Deux enfants naîtront de cette union.

 

Composition

La composition est nette, claire et resserrée autour des personnages.

Elle représente trois figures au premier plan : la Vierge, un ange soutenant L’Enfant Jésus.
On devine à l’arrière-plan, le visage d’un ange entre Marie et son fils. L’enfant porté par les deux anges, tend les bras vers sa mère, dans un geste enfantin.
L’ange de droite dont les ailes sortent du cadre, tourne son regard espiègle vers le regardeur.

Lippi introduit une touche de gaité dans cette composition où la Vierge incarne la prière et la quiétude.

La Vierge est placée devant une fenêtre ouverte sur un paysage de collines, de villages, d’escarpements rocheux. C’est un paysage côtier avec des falaises et une enceinte fortifiée.
Ce paysage apporte de la profondeur à la composition.
Il est conçu comme un tableau dans le tableau.

La Vierge est assise dans un fauteuil dont on voit le bras sculpté et le coussin de l’accoudoir, dessinés avec grand soin.

Elle est coiffée d’un chignon retenu par des perles et d’un voile dont la finesse est suggérée par sa transparence au niveau de l’oreille et du cou.
La Vierge est en prière, mains jointes et vêtue comme une aristocrate de la fin du XVe.

Des auréoles très fines, à peine perceptibles, couronnent la Vierge et l’Enfant.
Ces fines couronnes sacrent les personnages, très humains dans leur attitude.

Une fine ligne dessine les contours des figures et les détache du fond.

Lippi a une façon reconnaissable d’utiliser ses couleurs.
Il joue des couleurs primaires, le jaune de l’accoudoir contre le bleu de la robe de la Vierge.

La lumière frontale, met en valeur les carnations, la finesse du voile de la Vierge et la pureté linéaire de son visage.

 

Analyse

 I-   Ce type de représentation des Madones – la Vierge assise, vue à mi-corps, l’Enfant près d’elle- s’imposera aux artistes florentins des  générations suivantes.

Et particulièrement aux élèves de Lippi, dont le jeune Botticelli, qui transmettra la formule à ses propres disciples.

Verrocchio en fut marqué lui aussi et son atelier contribua à diffuser le thème, tant en peinture qu’en sculpture.

L’ange de droite tourne son regard vers l’extérieur, comme pour attirer l’attention du regardeur sur la tendre intimité de la scène.
Cette idée sera reprise par Botticelli et d’autres maîtres.

La recherche savante de la coiffure de la Vierge au chignon orné de perles montre l’attention particulière que Filippo Lippi porte aux ornements.

Le paysage exprime l’habileté de Filippo Lippi à traiter les reliefs  avec un jeu subtil de couleurs et de lumière.

Le caractère impulsif et passionné de Filippo Lippi s’accorde avec le climat humaniste de cette fin de siècle.
Lippi avec son originalité d’invention et sa force expressive, transforme l’atmosphère sacrée en une atmosphère humaine et poétique.

Les artistes contemporains influencent Lippi et permettent de suivre l’évolution du son style.

Ces premières œuvres sont influencées par Masaccio Vierge de l’humilité –1432 (Museo del Castello Sforzesco, Milan).

Lors de son séjour à Padoue, 1434, les sculptures de Donatello induisent sa nouvelle recherche figurative, puis à Naples, il est sensible à l’influence flamande, comme en témoigne sa Madone de Corneto Tarquinia –1437 (Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome).

Dans le retable conservé au musée du Louvre Retable Barbadori -1438, le style de Lippi se précise, à mi-chemin entre la délicatesse et la sensualité.

La réputation de Lippi est traditionnellement liée à ses douce Vierges.

À partir des années 50, Lippi met l’accent sur les contours, ses représentations deviennent linéaires.

Vierge à l’enfant et deux anges, cette œuvre magistrale annonce les chefs-d’œuvre de la Haute-Renaissance.

La Vierge est devenue une belle jeune-femme, l’enfant est un enfant représenté dans une posture enfantine.

Les personnages semblent émerger depuis le fond du tableau avec une délicatesse qui rappelle les reliefs de Donatello et Luca della Robbia.

Le paysage vu par la fenêtre ouverte annonce les paysages de Léonard de Vinci.

Quel chemin accompli depuis la Vierge d’Ognissanti de Giotto en 1310 (Musée des Offices).
Son contemporain Pérugin Madone avec l’Enfant et saint Jean Baptiste –1470 (National Gallery, Londres), son élève Botticelli Vierge à l’Enfant avec deux anges –1490 (Akademie der bildenden künste, Vienne en Autriche) puis au fil des siècles, Titien Vierge à l’Enfant avec des saints –1530 (National Gallery, Londres), Murillo Vierge à l’Enfant avec rosaire –1650-55 (Prado, Madrid), Georges de La Tour Le nouveau-né –1645-48 (Musée des Beaux-Arts, Rennes), de nombreux peintres suivront le modèle de madone proposée par Filippo Lippi.

Autre Madone de F. Lippi La Vierge à la grenade-1450-75 (Louvre)

II-   L’importance du dessin préparatoire à la peinture.

Au quattrocento le dessin est considéré comme la source de l’art visuel.
Le dessin fixe l’intuition et permet la mise au point.

Vasari souligne l’importance des dessins d’études sur des feuilles colorées avec des rehauts de gouache blanche. Ces études concernent presque toujours les silhouettes, les visages, les drapés, dont elles accentuent à la gouache les accents, et s’accordent ainsi avec les recherches de texture et de modelé propres à la peinture à l’huile.
Certains artistes élaborent des répertoires de formes destinés à l’atelier. Certains cahiers sont pleins de relevés d’architecture ou de fragments antiques. Les carnets de Léonard de Vinci commencés en 1480 sont le développement de toutes ces données à la fois, la passion du naturaliste et de l’ingénieur.

En une génération, le dessin est devenu le médium apte à tout enregistrer et en particulier les innombrables observations sur les mécanismes du vivant et la morphologie de la nature.

André Chastel –Renaissance italienne : « La fin du Quattrocento voit une sorte de prédominance des modes du savoir qui peuvent se transmettre par la voie graphique- ce qui est peut-être une définition technique de la Renaissance ».

Précédemment à la réalisation de Vierge à l’enfant et deux anges
Filippo a étudié sa composition avec un dessin (également conservé aux Offices).

Ce dessin entretien un lien étroit avec le tableau.
C’est un dessin très soigné, les variantes par rapport au tableau, les reprises à la pointe d’argent dans les volutes du sièges en bas à gauche et dans le drapé qui recouvre la jambe de la Vierge et la partie du coussin de l’accoudoir, les plis bouffants de la manche, montrent qu’il s’agit d’une étude préparatoire à la peinture.

 

Conclusion

L’œuvre de Filippo Lippi est baignée de lyrisme.
Son style est reconnaissable à la douceur de ses visages.

Son modèle de madone a perduré à travers les siècles.

La dimension sentimentale, son goût prononcé pour le naturalisme et son rendu exact des corps au moyen de la ligne, sont la contribution de Filippo Lippi à l’épanouissement de l’art du Quattrocento.