Retable de saint Zénon -entre 1457 et 1460 – Mantegna

Mantegna (1431-1506)

 

Retable de Saint Zénon

Entre 1457 et 1460

Tempera sur panneau de bois

Dim 480 x 450 cm

Conservé dans la Basilique San Zénon à Vérone, Italie

 

Le peintre

À l’âge de onze ans,  Mantegna intégra l’école dirigée par le peintre Francesco Squarcione, à Padoue. Passionné de l’art antique, Squarcione sillonnait l’Italie pour observer les monuments et se constituer une collection de statues, de reliefs et de vases antiques qu’il faisait étudier à ses élèves. Ainsi formé à l’observation attentive et au dessin des marbres, Mantegna se forgea une conception sculpturale du corps humain. L’atmosphère humaniste de Padoue, nourrie par son université de renommée internationale, et la profusion de vestiges romains dans le nord de l’Italie enrichirent ses études.

Une fois sa réputation établie grâce à de nombreuses commandes reçues dès l’âge de dix-huit ans, telles les fresques de l’église des érémétiques de Padoue, il accepta en 1457 le poste de peintre à la cour de Louis II, Gonzague, marquis de Mantoue. Il demeura à Mantoue pendant près d’un demi-siècle, réalisant fresques et retables er créant des reconstitutions historiques et des allégories.

L’œuvre la plus célèbre de cette période est la fresque de La chambre des époux dans le palais ducal de Mantoue. Sa partie la plus originale est le plafond qui semble s’ouvrir sur le ciel.

 

Le retable

Le retable de saint Zénon est le retable du maître-autel de la basilique de Saint Zénon à Vérone. Il comporte des parties peintes en polyptyque.

Rapporté à Paris en 1797 après le pillage par les troupes napoléoniennes qui  accompagna la première campagne d’Italie, le retable de saint Zénon a été restitué à son église en 1815, à l’exception de la prédelle dont les trois panneaux, restés en France, ont été remplacés par des copies. Le centre de la prédelle, une Crucifixion, se trouve au musée du Louvre, tandis que les panneaux de gauche et de droite, représentant le Christ dans le jardin des oliviers et la Résurrection, sont conservés au musée des Beaux-Arts de Tours.

Ce célèbre retable fut commandé à Mantegna en 1456 par le protonotaire Gregorio Correr, abbé de Saint Zénon de Vérone pour le maître-autel de son église.

Mantegna, âgé de 26 ans, peignit entièrement le retable dans son atelier de Padoue. Les huit saints placés de part et d’autre sur les volets, correspondent aux vœux du commanditaire.

Le cadre en bois est d’origine.

 

Composition

Le retable est composé d’un panneau central entouré de deux panneaux latéraux, il surmonte une prédelle à trois panneaux.

Le panneau central représente la Vierge tenant l’Enfant Jésus debout sur ses genoux, entourés d’anges musiciens et de putti.
C’est une iconographie byzantine de la madone victorieuse entourée d’anges.
La Vierge est assise sur un trône en marbre sculpté au centre du panneau.
Le trône est posé sur une piédestal en pierre, également sculpté et recouvert en partie par une tapisserie.
La tête de la Vierge est doublement auréolée, par sa propre auréole et par le haut du dossier circulaire du trône.
La scène est éclairée par une lampe à huile dans l’axe central vertical du tableau et du trône, placée au-dessus de la Vierge.

On remarque de part et d’autre des pilastres centraux, des boutons de roses qui évoquent la présence d’un jardin dans le dos de la Vierge.

Le volet de gauche, figurent saint Pierre, apôtre et premier évêque de Rome, saint Paul, saint Jean l’Évangéliste apôtre et saint Zénon, évêque, protecteur de Vérone et exorciste, avec mitre et crosse.
Les figures sont en pied et en enfilade suivant les règles de la perspective.

Le volet droit, saint Jean-Baptiste le « Précurseur », saint Grégoire le Grand, abbé bénédictin puis pape, saint Laurent, patron des pauvres et des diacres, saint Benoît, fondateur de l’abbaye du Mont-Cassin en 529 et de l’ordre des Bénédictins.
Les figures sont en pied et enfilade, symétriques au panneau de gauche.

Chaque figure est représentée avec précision et reconnaissable grâce à son attribut. Huit saints sont représentés.

Tous les regards sont expressifs y compris ceux des anges et des putti.
Seuls les regards de saint Pierre et de la Vierge sont tournés vers le regardeur.
Le regardeur a une vue en contre plongée.

Les trois panneaux, bien que séparés, sont réunis par un décor d’architecture composé de pilastres ornés de sculptures et de corniches.

Les panneaux se raccordent et sont dans la continuité d’un espace perspectif.
La continuité architecturale étant prolongée par le décor peint.
Une sorte de loggia qui s’étend sur les trois panneaux et sur lequel ont été accrochées des guirlandes de fruits allégoriques intercalés avec des tresses de feuillage.

Un collier de perles rouges accroché à la guirlande forme au centre de la composition un arc de cercle reprenant la forme du dossier en marbre ajouré du fauteuil de la Vierge.
Une allusion avec la couleur rouge à la passion du Christ.

Les personnages sont unis les uns aux autres dans une ambiance sentimentale dont la tension interne est elle-même définie par l’unité spatiale.

Le ciel représenté dans le fond du tableau est d’un bleu profond, strié de nuages blancs et lumineux.
Le ciel, représenté sur les trois panneaux est un élément de liaison.

Le cadre en bois de cet ensemble, sculpté probablement d’après les indications de Mantegna, imite la façade d’un édicule classique.

La tension dynamique qui se dégage de cette composition est d’une exceptionnelle efficacité. Elle est due en partie au chromatisme très fort.
Bleu, vert, violet, les couleurs  claquent.  Le jaune du vêtement de saint Pierre est lumineux. Les rouges sont vifs pour les saints et le décor, tamisés pour les vêtements de la Vierge.

Les trois panneaux de la prédelle représentent des scènes issues d’évangiles et d’écrits apocryphe.
Les personnages sont traités en raccourci. Les figures sont sculpturales.
La perspective atmosphérique apparaît à l’arrière-plan des trois panneaux.

Le panneau central est un Calvaire. La scène se situe au sommet du Golgotha. Avec ses trois croix, Jésus au centre et les femmes pleureuses, la scène est fermée à droite par un soldat à cheval et à gauche par saint Jean. La ville de Jérusalem se dessine à l’arrière-plan sur une colline.

Le panneau latéral de gauche est la Prière du Christ au jardin des oliviers. Jésus prie sur un rocher semblable à un autel dans un paysage pétrifié et désertique. À l’arrière-plan on distingue Jérusalem avec des bâtiments qui rappellent ceux de Rome et de Venise. Le rendu des figures minces et allongées fait écho aux premières œuvres de Bellini. Mantegna traite ses personnages en raccourci.

Le panneau central droit est une Résurrection. L’habillement à l’ancienne de soldats est très soigné et montre la volonté de Mantegna de recréer avec précision le cadre du monde classique avec une approche organique.

Le regardeur a une vue en contreplongée destinée à accentuer la dramatisation des scènes.

 

Analyse

Ce retable constitue le premier exemple de retable peint selon les principes de la Renaissance toscane dans le nord de l’Italie.

Il s’agit en effet d’une Sacra conversazione située dans un cadre architectural unitaire. Pour la forme architectonique, Mantegna a pu s’inspirer du maître-autel réalisé par Donatello pour la basilique Sant Antoine de Padoue.

Les grandes peintures de la Renaissance s’inséraient dans des édifices dont le style était celui d’une autre époque et ne s’accordait pas avec le leur.

Ce conflit a été souligné par l’autorité de Mantegna avec son retable de saint Zénon. Terminé en 1459, Mantegna installe sous les voûtes de saint Zénon avec sa loggia fictive un espace architectural en contradiction avec l’église.

Les paysages urbains de la prédelle montrent une Rome antique où ses monuments les plus illustres confèrent une physionomie très particulière à la Jérusalem qui figure sur les panneaux de la Crucifixion et du Jardin des oliviers. Les palais massifs, les tours crénelées, côtoient le Panthéon, portique et coupole, le Mausolée d’Auguste.
Des détails insolites, comme les deux obélisques vers le sommet de la colline ou une pyramide le long du rempart, apportent la preuve de l’intérêt que prenait la Renaissance et Mantegna aux antiquités égyptiennes de l’époque impériale.

De plus en plus souvent les peintres traitent l’espace sous la forme combinée de l’architecture et du paysage.

Cinq ans après ce retable, Mantegna développe un décor fictif dans un intérieur profane, la Chambre des époux à Mantoue.
Peintre décorateur, il organise un étage de fresques sous une voûte également peinte. Mantegna démontre avec assurance que la peinture a la propriété de qualifier à elle seule tout un espace intérieur.

Cette ambition apparait comme la contrepartie de l’orientation vers une architecture capable de se suffire à elle-même.

Dans les églises nouvelles, d’où la peinture murale semble exclue, le tableau d’autel, sous l’aspect majestueux du retable à compartiments, connaîtra un succès particulier.
Les statistiques désignent la période de 1470 à 1500 comme l’âge d’or du retable monumental.
Il y a dans cette vogue du retable une réponse italienne au grands retables à volets des Flamands.

Le conflit entre l’édifice et la peinture se retrouve entre le cadre et le tableau.

Dans le polyptyque de saint Luc pour sainte Justine de Padoue -1454, le cadre (en partie refait) de Mantegna est fidèle au montage de panneaux distincts sous arc brisés et avec fond d’or ; mais le dallage en perspective, la table de marbre en fort relief et le trône du saint rompent avec ce style.
Mantegna en eu si vivement le sentiment que dès l’ouvrage suivant, dans son puissant retable de saint Zénon, il dispose délibérément les huit figures de saints dans un même édifice idéal qu’enveloppe l’énorme fronton démodé, inspiré de Donatello.

Avec cet espace illusionniste qui englobe les trois panneaux, Mantegna abandonne la composition traditionnelle des polyptyques et crée une unité idéale des figures, prisent dans le réseau des lignes perspectives.

Peu de peintres suivront une décision aussi énergique en faveur du cadre moderne. Le retable à compartiment continuera à être adopté avec des cadres d’ancien style, bien que l’on voie sur les panneaux des édicules, des trônes et des formes antiquisantes.

Des formules inattendues vont surgir selon le tempérament et la conviction des peintres.

En 1475, Giovanni Bellini donne avec le retable de Pesaro l’exemple d’un montage classique.

Après 1500, la représentation de l’architecture et des formes ornementales est à l’ordre du jour dans la peinture.

Filippo Lippi a diffusé au milieu du siècle les emmarchements, les pilastres, les corniches, les arcatures « antiques ».

Au moment où le décor s’antiquise, le costume, la silhouette sont de plus en plus contemporains.

Vers 1450-1460, apparait le désaccord stylistique entre une enveloppe architecturale et décorative refondue selon les normes classiques et les figures dominées par des traditions et influences non classiques.

Cette situation s’est révélée très stimulante.

La puissance imaginative de Mantegna, son aptitude à assimiler, malgré les apparences, des apports septentrionaux, lui assurèrent une autorité complète. Mais la qualité du style, où reparaît le fond d’âpreté padouane, a souvent souffert de cette dominante des formes dures et découpées.

Outre le thème antique, les tableaux de Mantegna se caractérisent par des compositions originales, une utilisation audacieuse des raccourcis et de la perspective et une exécution d’un réalisme précis.

Le plafond a effet d’optique de La chambre des époux qui semble, pour la première fois depuis l’antiquité, s’ouvrir sur le ciel, sera repris au cours des deux siècles suivants dans les palais et les églises.

 

Conclusion

Mantegna a créé son propre langage visuel et à chercher à ouvrir de nouvelles voies. Sa peinture est puissante et dynamique.

Mantegna est fasciné par l’antiquité et ambitieux.
Dans ses entreprises destinées à faire renaître les éléments du passé, Andrea Mantegna marqua toute son œuvre de son intérêt pour les vestiges de la Rome antique, y compris dans ses compositions les plus ouvertement religieuses.