Le panier de fraises des bois – 1761 Chardin

Jean Siméon Chardin (1699-1779)

 

Le panier de fraise des bois

 1750

Huile sur toile
Dim 38 x 46 cm

Conservé dans un collection privée jusqu’en 2022.
Ce tableau a obtenu le statut de « trésor national », le Musée du Louvre, en janvier 2024, est en passe de l’acquérir.

 

Le peintre

Chardin, fils d’un ébéniste, rejoignit l’atelier du peintre d’histoire Pierre-Jacques Cazes en 1718 et étudia brièvement avec Noël-Nicolas Coypel peintre et pastelliste.
L ’Académie avait décrété que l’art le plus noble était la représentation d’épisodes bibliques, mythologiques ou historiques.
La peinture d’après nature n’exigeant que du savoir-faire, l’artiste véritable devait s’aventurer dans le royaume de l’imaginaire.
Méprisant ce précepte, Chardin transforma son apparente infériorité en une force remarquable.
Son œuvre témoigne de la tendance purement naturaliste qui coexista avec la frivolité d’un Boucher en pleine période rococo.
Influencé par les maîtres néerlandais du XVIIe les premières natures mortes de Chardin révèlent un sens aigu de l’observation et une aptitude extraordinaire pour la composition, le détail et la matière.
Gentiment moqué par ses pairs, Chardin entra à l’Académie en 1728.
Dans les années 1730, l’engouement pour les vanités nord-européennes, et les limites commerciales de la nature morte, incitèrent Chardin à se tourner vers les tableaux de genre. Il peindra des scènes de genre pendant quinze ans.
Vers cinquante ans, Chardin délaissa les scènes de genre pour revenir à la nature morte. Ses œuvres tardives sont plus douces et évocatrices, avec une lumière et un pinceau plus délicats.
En 1752, Chardin reçoit sa première pension royale. Cinq ans plus tard, le surintendant des Bâtiments, Marigny, lui accorde un logement au Louvre.
Dans les années 1770, Chardin abandonna la peinture en raison de sa vue déclinante. Ses autoportraits et portraits de sa femme au pastel sont d’une facture audacieuse et assurée, et révèlent une maîtrise intacte de la couleur et des matières.

 

Le tableau

Infos Wikipédia :
« Signée en bas à gauche, cette nature morte provient de la collection du grainetier François Marcille, qui possédait près de 4500 tableaux dont 40 toiles de Boucher, 30 de Chardin et 25 de Fragonard.
Il faut attendre 1862 pour que l’œuvre soit mentionnée par un historien de l’art, Charles Blanc, puis quelques mois plus tard, par les frères Goncourt.
Le 23 mars 2022, l’œuvre est mise en vente à Paris chez Artcurial et on estime la vente à 15 millions d’euros. Elle atteint l’enchère record d’un peu plus de 24 millions d’euros, émanant d’un marchand d’art new-yorkais, Adam Williams pour le compte du Kimbell Art Museum (Texas).
L’état français décide d’attribuer au tableau le statut de « trésor national ». Cette disposition suspend la vente pour une période de trente mois, laissant à l’État le temps de réunir les fonds nécessaires à l’acquisition.
Le tableau fait l’objet d’une campagne Tous Mécènes 2023 du Musée du Louvre pour recueillir 1,3 million d’euros en complément d’un mécénat du groupe LVMH et de l’aide de la Société des amis du Louvre. »

 

Composition

Le tableau représente dans une corbeille, un haut tas conique de fraise des bois, un verre à côtes plates rempli d’eau, deux œillets blancs, deux cerises et une pêche, posés sur un entablement de pierre.

Cet entablement de pierre est récurrent dans les natures mortes de Chardin.

Le fond est un frottis d’ocre, foncé à gauche du panier de fraises, clair à droite du panier de fraises.

Les tons chauds des fraises, des cerises et de la pêche contrastent avec la froideur argentée des fleurs et du verre d’eau, qui reflète de part et d’autre, le rougeoiement des fraises et le blanc diffus des oeillets.

Ce verre présente, dans sa partie inférieure, un décor de côtes plates qui montre le goût grandissant, au milieu du siècle, pour le verre taillé, sous l’influence du verre de Bohême.

Les œillets sur le bord de la pierre évoquent deux boules de chantilly, une petite fraise a dégringolé de la pyramide et s’est écrasée devant les œillets au ras bord de l’entablement.

La composition simple et équilibrée est un chef d’œuvre géométrique : une pyramide, un cône et des ellipses.
Le panier de fraises est placé au centre de la composition.
Ce tableau frappe par sa remarquable organisation spatiale.

Une lumière tamisée illumine le rebord du verre et rend la transparence de l’eau et du verre et nuance la couleur du mur du fond.
La brillance des cerises s’oppose au duvet de la pêche, le panier d’osier peine à contenir la montagne de fraises. Les œillets blancs sont saisissants, posés en équilibre sur la pierre entre le regardeur et le panier de fraises, ils sont en suspension, tels deux papillons.
Chardin cherche à reproduire la texture des fruits, le velouté de la pêche, le croquant des cerises, le sucre des fraises.

Seule la douceur de la palette colorée vient atténuer la rigueur de la composition.

Chardin porte son attention sur la lumière, qui nuance la couleur du verre, des œillets, des fraises, des cerises et de la pêche.

La lumière venue de la gauche, détaille les formes plus qu’elle ne les enveloppe, éclaire les fruits, le verre, les œillets plus qu’elle ne les baigne, attire leur reflet plus qu’elle ne les renvoie.

Un air impalpable enveloppe la composition et lui donne son unité.

Chardin peint les couleurs froides puis les chaudes. Rien de plus audacieux que l’accord des rouges des fraises, de la blancheur des œillets et leurs reflets dans l’eau du verre, des verts des tiges d’œillets et de l’ocre du panier d’osier.

Le coloris vigoureux, les touches nettement posées, appuyées et apparentes, témoignent de l’assurance de l’exécution.
Chardin travaille les matières et suggère l’atmosphère.

Rien de plus naturel et de plus libre, rien de plus recueilli et de plus réfléchi, rien de plus tendre et de plus émouvant.

 

Analyse

Chardin est un magicien

Cette nature morte inhabituelle, qui fut présentée au salon de 1761, démontre un talent suprême pour situer les objets.
Ici des œillets blancs, dans un espace flottant, entre la toile et le regardeur, comme deux boules de chantilly ou deux papillons.
La palette colorée et les matières de ce chef-d’œuvre naturaliste allaient influencer Courbet, Cezanne et Renoir.

Dans ce tête à tête avec le panier de fraises, Chardin élimine ce qui peut faire voile entre l’objet et le regard.

C’est un moment vide. Le temps d’une sensation et d’une présence au monde.
Chardin place les objets à portée de main, à portée de mémoire.

Qu’il les éloigne ou qu’il les rapproche du regardeur, Chardin se préoccupe moins du détail de chaque fruit, de chaque objet, de la ressemblance que de la vision d’ensemble.
Chardin ne s’intéresse pas au rendu des détails, il se préoccupe des volumes, des masses.

Il ne néglige pas l’émotion, une émotion réservée et discrète.

Son exécution est souple, lisse.

Ce qui importe, ce sont les reflets, les transparences, la lumière et les ombres, l’air qui circule librement et enveloppe les objets et les fruits.

Chardin éblouit le regardeur avec son sens de l’harmonie.

Chardin dispose avec soin et attention ses objets usuels et les fruits, choisis pour leurs formes et leurs couleurs, leur matière, leur consistance, leur éclat. Ce n’est que lorsque cette mise en scène est achevée, cette présentation composée, qu’il prend ses pinceaux et se met à l’œuvre.

Ce qui isole Chardin de ses contemporains, c’est la franchise de l’exécution, l’audace de la palette et le refus du trompe-l’œil, de tout parti illusionniste.

L’harmonie générale, la simplicité de la composition, son rythme parfait, l’équilibre des masses disposées avec naturel, caractérise ce tableau.

Le refus de tout récit au profit de la seule peinture, tout dans cette œuvre unique, suscite une admiration sans réserve.

Chardin oblige le regardeur à se rapprocher pour apprécier les détails et à se reculer pour admirer l’effet d’ensemble.

Chardin est plus que fidèle à la nature, ce tableau est plus vivant que la vie elle-même, ses fraises, ses cerises et cette pêche sont de chair.
Il y a un écart entre l’idée de la fraise et la fraise elle-même, cette fraise qui sur la toile et seulement forme et couleur.

Chardin est un magicien qui fait que soudain à la surface de la toile affleure la nature, la vie.
Chardin peint avec les couleurs et le sentiment, ses yeux sont attachés sur sa toile.

Par son éloquence muette, Le panier de fraise des bois, exerce sur le regardeur une heureuse et mystérieuse fascination qui entraîne à la contemplation et à la rêverie.

Ce tableau pénètre le regardeur profondément et s’adresse à son être tout entier.
Le silence du tableau parle aux yeux ou à « l’âme par l’entremise des yeux » (Diderot-Salon de 1765).

Chardin nous dévoile les fraises, il les a sorties de leur sous-bois pour en faire une pyramide. Le peintre est dans un rapport désirant.
Le pinceau de Chardin répand au-dehors la lumière et les couleurs que les fraises ont en elles-mêmes.

Les parfum des fraises des bois chatouillent les narines du regardeur.

« Pour n’être occupé que de rendre le vrai, il faut que j’oublie tout ce que j’ai vu et même la manière dont ces objets ont été traités par d’autres » fait dire Cochin (historien) à Chardin.

Ce qui rend ce tableau magique, c’est l’unicité de sa manière, l’habileté incomparable de la main qui le peint et l’extraordinaire maîtrise de la science des couleurs et de l’harmonie.

 

Conclusion

Diderot : « C’est celui qui entend l’harmonie des couleurs et des reflets. Ô Chardin ! Ce n’est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette : c’est la substance même des objets, c’est l’air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile…
On n’entend rien à cette magie… Approchez-vous, tout se brouille, s’aplatit et disparait ; éloignez-vous, tout se crée et se reproduit.
… On m’a dit que Greuze montant au Salon et apercevant Le bocal d’olives de Chardin, le regarda et passa en poussant un profond soupir. Cet éloge est plus court et vaut mieux que le mien. » » (Salon de 1763).

Malgré l’infériorité incontestable de la nature morte dans la classification des genres, partout dans les Salons, brille l’innommable génie de Chardin.

Chardin mourut riche et respecté, mais son influence demeura limitée.
Il fallut attendre le XIXe pour que Monet, Cezanne ou van Gogh se fassent les champions de ses œuvres discrètes et modestes ; ses scènes du quotidien furent vénérées par les impressionnistes comme les postimpressionnistes.